dimanche 3 juin 2007

Journal d'un poilu.


Carnet de route

de René Pierre LEROUX
asp. 110e

de 1917 à 1918.
Notes

Etant donné les conditions plus qu'inconfortables vécues par mon père lors de l'écriture de ce journal, souvent rédigé au crayon, sur ses genoux dans des "cagnas" sommaires, entre deux "marmitages", l'écriture de mon père est de ce fait parfois difficilement déchiffrable. De plus, à la lecture de ce récit, on se demande comment ces soldats pouvaient supporter, en sus de l'horreur ambiante, le manque de sommeil, le froid en hiver, le pataugeage dans la boue, les maladies, etc.

Aussi ai-je mis les mots qui présentent un doute en italique et quand ils sont réellement indéchiffrables comme certains lieux-dits, je les ai remplacés par des points de suspension.

La page de garde est celle du carnet; elle était destinée à éviter d'éventuels problèmes de succession à ma grand-mère (mon père était fils unique et son père Ovide était décédé en 1913 laissant son épouse Delphine veuve avec un petit revenu comme directrice d'une Ecole Primaire. Mon père lui adressait d'ailleurs régulièrement du front la majorité de sa solde quand elle fut plus conséquente lors de sa promotion comme sous-lieutenant.), ainsi qu'à lui laisser un dernier souvenir de lui en cas de décès pendant son passage au front.

Mon père:

René Pierre LEROUX
Né à Paris (4e) le 20/4/1896
Décédé à Nantes le 22/10/1988
Officier de la Légion d'Honneur
Croix de Guerre 1914/1918



F. LEROUX Page de garde

Choisy le Roi, 15 Octobre 1920

Je soussigné René Pierre LEROUX
lègue à Mme Vve Delphine Suzanne LEROUX
née METAYER ma mère, tous les biens
meubles et immeubles que je possède.

R. LEROUX

Duplicata d'une note analogue sur papier timbré faite pendant la guerre et que je ne puis retrouver.
Toutefois ceci est suffisant.



Madame LEROUX
Ecole du Parc
Rue Noblet
Choisy le Roi
Seine



Carnet à envoyer à Madame LEROUX, Ecole du Parc, Rue Noblet, Choisy le Roi, Seine.
Carnet de route, commencé le 1/4/1917.

5/4/17 J'arrive de Cherbourg avec la 15e Bie du 110e (155e escadron).
Débarquement à Epernay le jeudi 5 avril 1917, arrivée nocturne à Champillon par un beau clair de lune; j'en repars le lendemain matin à 6h en auto avec le Capitaine MAURY pour reconnaître la position.
Pour avoir une meilleure route nous passons par Reims. En un éclair j'ai le temps d'apercevoir à un détour de rue la cathédrale. Je ne vois qu'une masse grise dominant la ville, à cette distance on n'aperçoit aucune mutilation.
Nous arrivons à Prouilly. Temps superbe et gai, bruit lointain de canonnade, je suis frappé par le nombre fantastique de travailleurs et l'activité qui règne à l'arrière. Le Capitaine m'envoie reconnaître l'échelon, puis part seul pour la position me laissant à Prouilly pour guider la batterie.
Celle-ci arrive vers 3 heures après une dure étape de 50km. On ne s'arrête pas et on repart pour l'échelon.
Entre Prouilly et Pévy nous faisons connaissance avec cette boue blanche de Champagne, dont j'ai vu souvent les traces sur les capotes des fantassins à Paris. Côte rude à monter. L'échelon est à Châlons le Verjeux.
Avant d'y arriver il nous faut passer sur une route découverte aux vues de l'ennemi. Je suis en tête de colonne sur ma jument Pleurésie (zizi pour abréger!). Celle-la peureuse à l'excès à Cherbourg reste calme au bruit du canon.
Un travailleur nous prévient que l'endroit est dangereux, je fais écarter les intervalles et m'engage sur la crête. C'est la première fois que je suis sous le feu possible, je ne suis pas trop tranquille intérieurement; mais je fais bonne figure. D'ailleurs tout le monde prévenu du danger est grave. Je passe au pas, avec les premières voitures sans accident. Une demi-heure plus tard j'apprends que nous avons été repérés et que la queue de la colonne a été marmitée. Deux chevaux tués, un homme blessé. ça commence bien.
Arrivée à 7h. à Châlons le Verjeux, devons repartir à minuit et tirer dès le lendemain matin. Nous mangeons assez bien; je ne peux pas dormir, il fait trop froid.
L'échelon est en plein bois sous une cagna.
- A minuit (samedi 0h.) faible clair de lune, tout le monde est éreinté. La batterie met bien une heure à s'ébranler. Je suis chef des éclaireurs et j'emmène 4 hommes. Je pars en avant avec le Capitaine qui me montre le chemin. La canonnade se rapproche et devient violente à l'échelon, nous avons déjà entendu siffler les obus. Je n'ai pas trop peur. Il fait nuit noire, mais de tous côtés des lueurs fulgurantes enflamment l'horizon et découpent les silhouettes des arbres. Nous avançons péniblement sur une route fangeuse pleine de trous. Le bruit de nos batteries lourdes se rapproche et nous déchire les oreilles. Ma jument n'avance plus que difficilement. 2 obus allemands sifflent et ne doivent pas tomber loin. Je commence à m'habituer à ce bruit. Une petite pluie fine tombe et nous transperce. Nous devons traverser une extrémité du village de Cormicy, et bifurquer à gauche. Un peu avant d'arriver au village, nous entendons 2 violentes détonations. Arrivés au tournant, trouvons 2 chevaux éventrés; ma jument qui les a sentis de loin a peur et ne veut plus avancer, je suis forcé de la pousser à l'éperon et à la cravache. Au tournant nous nous arrêtons; mais une ombre noire qui parait être un planton sort d'entre deux murs à demi éboulés et nous avertit que l'endroit est dangereux. C'est à contrecœur que j'y laisse un de mes éclaireurs, mais il le faut, la route est impossible à deviner.
Nous sortons du village en revenant presque sur nos pas; mais nous passons maintenant devant les batteries françaises qui à gauche font un bruit fantastique; les boches n'ont pas l'air de répondre. Des 75 tout proches mais dont nous ne voyons que les lueurs violentes et rapides crépitent. Plus calmes les lourdes détonations des canons longs font un accompagnement étrange à cette musique. Il pleut toujours. A notre droite sur une ligne la plaine parait en flammes, des fusées colorées partent à chaque instant éclairant à 2km de nous une route bordée d'arbres parallèle à la notre; un bruit de fusillade nous parvient. C'est là que sont les boches. Des fusants commencent à passer au-dessus de nous, destinés aux batteries qui tirent. J'ai à ce moment l'idée saugrenue qu'il y a des gens bien tranquilles dans leurs lits, et qui ne se baladent pas à 2h du matin à cheval sur la route de Cormicy à je-ne-sais-où.
Nous arrivons enfin derrière un petit bois, c'est notre but, ce parcours m'a semblé bien long et nous ne sommes parait-il qu'à 1500m de Cormicy. Nous attendons la batterie une heure et la danse continue (j'ai su plus tard qu'il y avait eu attaque et tir de barrage de notre part).
La mise en batterie se fait péniblement dans la boue sous la pluie et sous les obus qui paraissent se rapprocher de nous. A 4h du matin je m'endors éreinté assis sur une cantine de fusées, dos à dos avec le lieutenant Peyrolle dans une cagna aux 3/4 démolie que nous avons trouvée.
Nous sommes au lieu-dit de la Chapelle derrière la ligne de Cormicy à Berry au Bac (nous sommes le 7).
Vendredi 13 avril. Je suis désigné pour être de liaison avec l'infanterie. Je dois passer la journée au P.C. d'un commandant.
Départ à 3h du matin avec l'adjudant. Nous devons passer par Cormicy, Villers dont l'entrée est très marmitée. Nous partons sans grand enthousiasme, je l'avoue.
Près du village faisons 2 ou 3 plats ventres causés par l'intervention de quelques obus boches. Les lueurs de quelques 75 nous éclairent. Dans le village, presque impossibilité de dépasser à cause du passage dans les rues étroites de convois de munitions. Bruit et boue. Hurlements des conducteurs, claquement et miaulement des fusants heureusement trop longs. Passons une heure chez le commandant de l'A.L.C. Sud, devons repartir pour les tranchées par le boyau de Sapigneul. Cherchons dans la nuit et dans la boue ce boyau pendant une heure; impossible de le trouver. Nous allons dans les abris réveiller les dormeurs, aucun renseignement. Les obus arrivaient toujours là-haut. Moment erratique. Avançons dans ce pays en ruines.
Trouvons enfin le boyau grâce à la rencontre heureuse d'un fantassin; il y a près de 4km à faire en boyau. Heureusement les boches ne tirent plus sur le village. Nous sentons bientôt les obus passer haut au-dessus, dessous on respire.
14 avril. Le surlendemain de Champagne. Je … l'échelon … … suis resté à la batterie. Monte vers 10h à l'observatoire, ai vu beaucoup de fumée, rien de précis sauf des villages en flammes abandonnés par les boches.
Séjour de 24h à l'infanterie.
A l'observatoire ai vu 3 saucisses françaises incendiées par un avion boche. Descente des parachutes.
(Voir supplément au carnet)
5 mai, repérés pendant un tir nous continuons sous les marmites, rien de drôle; surtout que nous n'avons pas d'abri solide.
7 mai, à l'observatoire 186, ai vu le déclenchement d'une attaque; à 14h44 le barrage de notre artillerie qui couvrait la plaine d'un nuage de fusées s'est brusquement allongé découvrant les lignes; tout à coup des petits points bleus ont surgi de la tranchée française; c'était la première vague. Ils ont avancé sans courir jusqu'à la première ligne boche; pas un n'est tombé. Un instant d'hésitation au bord de la tranchée puis tous ont sauté; la 2e et la 3e vague ont suivi; dès que cette dernière a été partie, le barrage boche s'est précisé; et a couvert les lignes d'un nuage de fumée, que nos meilleures lunettes n'ont pas percé. Que s'est-il passé sous cette fumée? Dans cette fournaise?
Une demi-heure après nous avons pu voir les nôtres installés dans les tranchées boches sur les contreforts du mont Lepin.

10 mai.
Bombardement de 210, la 8e pièce tirant par ballon, j'étais dans l'abri téléphonique. Une marmite tombe en plein sur la première pièce heureusement inoccupée, pièce complètement détruite, roues écrasées.
Depuis cette date, bombardement intermittent, nous sommes évidemment repérés. Nous ne pouvons tirer sans recevoir immédiatement la réponse. D'ailleurs toutes les batteries du bois de la Chapelle trinquent. C'est une position perdue.
19 mai. Vers 1h1/2 du soir je me rends à l'observatoire de la Petite Montagne (180), arrivé près de la cote 165 (notre ancien observatoire), j'entends soudain de violentes détonations, fumées, etc Je suis presque projeté à terre et la forêt a l'air de dégringoler sur ma tête, des éclats sifflent, des branches tombent. Ce tintamarre dure environ 1/2 minute, puis la forêt reprend son immobilité. J'en profite pour me défiler rapidement, convaincu qu'une grosse marmite a du tomber à 2 pas de moi. Arrivé à l'observatoire, je trouve le téléphoniste affolé; il a lui aussi reçu des éclats. Nous apprenons bientôt qu'il s'agit d'un dépôt de munitions qui a sauté dans une batterie au 220. Au moment de l'explosion j'étais à 400m environ et le téléphoniste à 1200m. Ordre arrive du P.C. de cesser le tir (qui n'était pas commencé). Je redescendis. Toute notre batterie était sur les lieux occupée à déblayer. La route était coupée par un trou de 7m de profondeur sur 20m*30m de surface. Rebords abrupts de sable. Ça et là des obus de 120 amenèrent l'hypothèse: 2 pièces tiraient et ont été ensevelies avec les servants. A mon arrivée on avait déjà pu retrouver vivante une équipe de pièce qui était restée 1/4 d'heure sans communication avec l'extérieur. Malheureusement l'équipe de l'autre pièce a eu son abri écrasé par l'explosion. Tous ont été étouffés.
On les a retrouvés dans le sable et les débris de charpente. 8 morts, et dans quel état! J'en ai vu sortir 2. Les malheureux étaient comme dans une gangue de sable et aplatis comme des galettes.
L'explosion a été provoquée par l'arrivée d'un 150 ou d'un 210, mais n'aurait pas eu ces terribles conséquences si les malheureux n'avaient pas eu à côté d'eux des obus amorcés d'avance.
J'en ai retrouvé 6 non éclatés et amorcés. Ils ont été tués par leurs propres armes. Des bruits circulent disant qu'il y avait 40 obus amorcés par pièce. Quelle imprudence!
L'enquête a révélé que 400 obus de 220 avaient sauté.
Autour du trou les arbres sont fauchés et carbonisés dans un rayon de 50m. Plus loin c'est plus curieux, les feuilles ont été arrachées par le souffle sans être brûlées. Il n'en reste plus une aux branches, on se croirait en hiver. Par terre un véritable tapis de feuilles vertes déchiquetées.
Retrouvé à la batterie (distance 200m) un éclat de 60cm de long sur 20 de large. Quel morceau! Cela vient d'un canon de 210.
Les boches n'ont pas trop abusé de leur succès et ont laissé réparer la route.
Un de leurs avions est venu immédiatement contempler le résultat; et a pu le faire en toute tranquillité; Messieurs nos aviateurs n'ayant pas daigné apparaître.
Il en est d'ailleurs toujours ainsi de notre côté; les chasseurs ne sont là que lorsqu'il n'y a rien à faire et nos malheureux coucous de réglage se font trop souvent descendre dans nos lignes.
21 mai. Le marmitage continue; mais pas trop sur la batterie. Encore une saucisse française descendue par un avion boche! L'observateur est descendu en parachute.
24 mai. Je pars avec le capitaine en observation dans les anciennes premières lignes boches. Pour y aller nous passons par le bois de la Marne et de là descendons à pic sur le chenal de l'Aisne et du Canal.
Le Canal est au bas d'une falaise à pic encore remplie de verdure malgré les travaux des batteries et les obus boches. Nous traversons l'Aisne et le Canal à midi, pas un coup de feu. Le spectacle de cette vallée paisible à 1500m des boches est superbe. Nous traversons Berry-au-Bac superbe dans ses ruines. La ville est complètement détruite, mais il reste tous les pignons. Ce ne sont pas des ruines enfumées et tristes, mais des murs blancs et élégants dans un cadre de verdure. Malgré la désolation des lieux l'aspect de Berry-au-Bac est riant et agréable. Ce devait être une petite ville bourgeoise, bien bâtie et entourée de jardins qui subsistent. Toujours sans un coup de canon, nous dépassons Berry-au-Bac, traversons les anciennes premières lignes françaises; les réseaux de fil de fer français à peine touchés, ceux des boches complètement démolis et arrivons dans les lignes boches, nous effectuons ce parcours non en boyau mais sur la plaine à cause du calme qui règne en ce moment (2h après-midi).
Le capitaine prend en complément la précaution de nous faire espacer de 100m pour ne pas offrir de cibles trop faciles aux mitrailleuses boches. Nous traversons la première puis la deuxième ligne boche et arrivons dans une tranchée qui doit être notre observatoire après avoir côtoyé un tank français resté en panne. Nous sommes également passés à côté d'une ancienne batterie de 77 que nous n'avons pas eu le temps de visiter. Il parait que les pièces étaient encore telles quelles.
Les tranchées boches sont bien faites et ont de nombreux abris; certains sont recouverts st cloisonnés de ciment armé et ne sont vulnérables que par des coups d'embrasures; d'autres sont en apparence solides; mais ne sont pas fameux. Ils ont l'air fignolés (planches rabotées, madriers bien équarris, mais la charpente est insuffisante et ils sont plus nuisibles qu'utiles. On risque fort d'y être enseveli. A noter le nombre considérable de latrines qui s'y trouve et qui a beaucoup refroidi mon zèle d'exploration.
Au retour (19h) nous revenons par la route mais la canonnade était réapparue et des fumées de mauvais augure s'élevaient de Berry-au-Bac; arrivés à 300m de la première passerelle nous voyons les marmites tomber presque exactement devant l'entrée sur la route, or pour revenir chez nous il fallait absolument passer par là. Nous sommes passés, les marmites ont continué à tomber après notre passage; mais nous avons profité de l'intervalle de temps à peu près constant qui les séparait. Tout de même une fois de l'autre côté de l'eau on respire!!
25 mai. Pour camoufler une piste nous l'avons labourée avec une charrue abandonnée très ancienne, je constate l'enthousiasme des bonshommes (pour la plupart agriculteurs) pour cette besogne qui leur rappelle leurs travaux du temps de paix. Chacun donne son avis, active les chevaux,
31 mai. Nous quittons la position vers 21h pour aller à 14km de là de l'autre côté de Cormicy. La route est assez dangereuse.
Départ à 21h30 par un beau clair de lune en 3 sections. Je commande celle du milieu, ordre de suivre la première à 100m. Une portion de la route a été bombardée systématiquement par les boches depuis une huitaine de jours; la route a même été coupée dans la journée, de plus nous devons traverser Cormicy toujours très éprouvé. La nouvelle position se trouve dans le bois derrière la Sablière à environ 2000m des dernières maisons de Cormicy.
Le départ s'effectue bien à 21h20, mais un bombardement d'obus spéciaux arrête la première fraction dans Cormicy et par suite une section juste à l'endroit dangereux de la route; naturellement nous n'y arrêtons pas, je fais serrer. Nous commençons à sentir les gaz, dès l'arrivée à Cormicy je fais préparer puis mettre les masques! Je constate une fois de plus que l'on n'y voit rien dans ces cagoules. Toutefois nous sommes bien protégés et n'avons rien senti, sauf ceux qui ont tardé à mettre leurs masques qui ont été plutôt gênés. Pas de suites graves d'ailleurs. Le trajet s'est terminé sans recevoir un obus. C'est une chance dans un secteur aussi marmité. Si les boches avaient pu voir la batterie en grand déploiement au clair de lune; tout le monde à cheval!!
2 juin. Cette nouvelle position est bien agréable pour l'été. Ces bois sont délicieux et pour l'instant assez tranquilles. Je couche dans l'ancien P.C. Cdt la 30e que nous remplaçons. Sape plus propre que solide. En tous cas l'endroit est très gai et je recherche notre observatoire de la cote 186.
A 4000m de là les boches ont repéré une batterie et lui envoient du 305. C'est gentil!
3 juin. Une batterie de 155 s'étant fait repérer à 100m devant nous, nous avons été soumis à un violent bombardement de 130 et de 105 à 3 reprises dans la journée. Dégâts matériels dans la batterie, seul Mouneur (Lieutenant 2e pièce) a été enseveli dans son abri avec un autre homme; il l'a échappé belle n'ayant eu qu'une violente courbature.
7 juin, 0h. Nouveau départ, peu de temps après la batterie défile sans incident notable par Cauroy, Hermonville, Prouilly, Jonchery.
C'est la première fois depuis deux mois que je reviens à l'arrière. Voir des toits aux maisons me semble excessivement curieux. On respire mieux tout de même.
Etape de 50km avec une seule halte après Jonchery, arrivons à Fismes, Bazoches et Braine.
Nous bivouaquons en ce dernier pays. Ma première nuit passée sous la tente par un violent orage m'a laissé un souvenir plutôt désagréable. Il ne fait pas chaud et la terre c'est dur. Jusqu'ici nous croyions aller au repos; mais là de nouveaux ordres sont donnés et le lendemain soir nous repartons pour l'échelon du 4e groupe dont nous faisons partie. Nous y arrivons sans autre incident qu'un chariot versé. Selon l'élégante expression d'un poilu "la batterie était plutôt blindée". Il fait si chaud. L'échelon se trouve dans le bois Marie près du Château. Je passe la nuit dans une cagna presque confortable.
En cet endroit nos troupes ont avancé jusqu'au Chemin des Dames.
Le lendemain de notre arrivée à l'échelon nous allons visiter la position qui se trouve sur le versant de la fosse Margeret faisant face aux boches. Grand défilement par le plateau de Cramire; mais sans grande vulnérabilité. Nous sommes bien abrités dans des taillis d'acacias. Nous sommes au-delà de l'Aisne et du Canal au Nord de Vailly sur les positions prises aux boches.
Le passage sur les ponts de Vailly et dans le village s'est effectué le soir sans encombre vers 21h.
Mise en batterie empressée du Commandant dans l'obscurité la plus complète.
Nuit passée sous quelques tôles ondulées et peu tranquille, les boches marmitant ça et là la nuit.
Le 10 au soir j'obtiens enfin ma permission retardée par toutes ces pérégrinations. Je ne reste pas un instant de plus à la batterie et pars avec le ravitaillement.
Nous traversons Vailly sans trop de difficultés et j'arrive à l'échelon vers 0h.
Le lendemain matin je pars à cheval à 4h1/2, je prends le train à Mont-Notre-Dame. Ce matin là j'avais des ailes. Je trouvais tout charmant et en particulier je ne cessais de regarder les femmes, les gosses et les curés, spécimen de la civilisation que j'avais oubliée depuis 2 mois.
Arrivée radieuse à Paris à 11h1/2. Je saute d'abord chez un figaro qui répare les traces de 8 jours passés sans excès de toilettes. A 2h1/2 arrivée à Choisy, où je trouve porte close; Maman partie au certif à Nogent.
J'en profite pour la surprendre à son arrivée le soir à la gare. Quelle surprise. Elle m'attendait depuis 15 jours et je n'arrivais pas.
9 jours heureux, donc sans histoire.
21_ Après le moment pénible de la séparation, je retourne à la batterie par Château-Thierry et Buruchs en chemin de fer. De Bazoches une auto m'emmène à Braine, j'emprunte un cheval au T.R. et arrive à l'échelon juste à point pour partir avec le ravitaillement en voiture. Dans ce court voyage j'ai utilisé pas mal de moyens de communication.
L'endroit est resté délicat, les boches très nerveux marmitent le plateau. Nous sommes entre Luttaut et Hurtebise. Violente activité d'artillerie, dit le communiqué.
Nuit du 24 au 25. Les boches envoient sur le plateau et sur les batteries une quantité incalculable d'obus spéciaux.
Malgré cela nous avons tiré toute la nuit, mais quelle nuit! Heureusement que nous avons nos masques, malheureusement ils ne permettent pas d'y voir clair.
27_ Eté à l'observatoire 197 d'assez mauvaise réputation. Ai pu observer un coin bien marmité à Roenil-Maison. La route est un bled d'une platitude désespérante sur lequel poussent seulement des herbes sèches.
Eté à l'abri 157. Cette fois par le boyau. Moins heureux que la veille, ai été pris avec Ducas et Charon sous un violent marmitage près du P.C. du commandant.
29_ Eté à l'observatoire de la Croix-sans-Tête, cote 181 avec le lieutenant Cauley pour le compte de la 13e. Calme plat, mais bien rentré à 10h du soir.
30_ Même promenade, retour 10h plus agréable; mais pluie diluvienne. Mon manteau et mon pantalon sont badigeonnés de boue jusqu'à la ceinture.
1er juillet_ Retourné seul cette fois avec le téléphoniste à l'observatoire de la Croix-sans -Tête. Un ennui de ce coin est que messieurs les aviateurs boches ont la désagréable habitude d'y venir mitrailler les tranchées. L'un d'eux surnommé Fantomas est célèbre parmi les poilus français qui ragent après l'inactivité de nos avions. Ai pu faire un excellent réglage bilatéral avec le 197.
6 juillet_ Devons partir le 7 à 21h. Grande joie, les boches étaient plus nerveux que jamais. Il y a dans ce pays un bruit continu de sifflement d'obus; c'est agaçant même quand ils sont éloignés car ce bruit dure pendant des heures sans interruption, aussi sommes nous heureux de quitter ce vilain coin, bien que nous laissons derrière nous une confortable position de batterie.
10h_ Sommes avertis par le téléphoniste du P.C. qu'un de nos infirmiers nommé Turgin vient d'être tué à l'infirmerie. Le lieutenant me charge d'aller voir.
Je découvre l'infirmerie à 100 mètres devant les gueules d'une batterie de 155 de Bouge. Elle n'en est séparée que par une route sur laquelle se trouvait le malheureux. Par terre une grande flaque de sang. Il s'agit d'un éclatement prématuré qui a fait 3 victimes, dont 2 de notre groupe. Je vais voir Turgin. Le pauvre garçon est étendu à 20 pas dans un petit abri. Il est tout jeune et, pâli par la mort, plus jeune encore. Je suis à peine descendu dans l'abri depuis 5 minutes en compagnie de l'aumônier, qu'une violente détonation retentit de nouveau et qu'une épaisse fumée se répand. Les servants du 155 se sauvent de tout côté. C'est un 2e éclatement prématuré de la même pièce. Moi qui 8 minutes auparavant causait sur la route avec l'aumônier!!
14h_ On se prépare à partir après ces tristes événements quand nous recevons l'ordre de détruire un pont sur le canal. Remise en batterie sans enthousiasme.
18h30_ En train de dîner, 2 obus boches passent sur la batterie et arrivent finalement sur la crête. Le troisième siffle longtemps, puis éclate en plein au milieu de la batterie. Le quatrième de même. Chacun se réfugie où il peut. Et pendant 2 heures les boches nous ont régalés d'un tir très bien réglé de 150 et de 210 en plein sur la batterie. Les animaux ont fui dans les ris. Ils ont fait des suspensions de tir de 10 minutes, puis reprenaient brusquement le tir. L'ordre arrive d'évacuer la batterie; mais ils tirent, dispersant sur tout le plateau. Nous restons dans une sage c .
Leur tir s'arrête vers 10h. Pas de dégâts, mais le bois est dans un état! Le premier obus a éclaté à 5m de nos maréchaux des logis qui dînaient tranquillement, la fusée était heureusement retardée et a fait un trou de 1m60 de profondeur et 2m de diamètre; mais tous les éclats ont sauté sans toucher personne. Les sous-officiers ont seulement été renversés par le souffle.
Le départ s'effectua sans encombre et très rapidement aussitôt après le feu du bombardement. Nous repassons l'Aisne et le canal sans encombre. Je suis serre-file et rentre à l'échelon b8 à 2h avec la dernière voiture.
Le 7 à 6h nous enterrons l'infirmier Turgin dans le cimetière de Chassemy.
Le 8 à 2h départ, arrivée à Coincy où nous continuons.

Note rétrospective du 3 août 1918. Je conserve le souvenir de notre arrivée à Coincy. C'était un dimanche ensoleillé à la sortie de la messe. Des jeunes filles en robe d'été sortaient de l'église comme nous débouchions à la tête de la batterie. Je revois encore leur charmant sourire. Dire qu'aujourd'hui on se bat dans ce joli pays.

Le 10 départ à 6h, arrivée à Nogent-l'Artaud où nous restons au repos pour une dizaine de jours.
_ Séjour à Nogent-l'Artaud; joli coin des bords de la Marne; la batterie est à 5km dans le bled, je logeais chez 2 vieilles filles qui sont charmantes pour nous autres.
Tous les jours je vins à la batterie soit à cheval, soit dans une antique calèche découverte par le lieutenant, arrangée, repeinte, rendue méconnaissable par les mécaniciens de la batterie. Dans cette vieille guimbarde attelée aux plus fringants chevaux de la batterie, nous faisions de la vitesse.
Pas de permission de 24h en perspective; je fais venir Maman. C'est le seul moyen possible de la voir. Elle peut venir grâce à son congé du 1er juillet.
Le reste du temps s'est passé agréablement grâce à mes deux camarades Belliot (aspirant à la section) et Fleury (médecin assistant). Le premier mesure 1m95 et est un professeur de philosophie, l'autre est un joyeux garçon qui ne s'en fait pas. Le hasard fait drôlement les choses. Fleury est logé dans une maison grave et sérieuse. Le pudique et rougissant Belliot est au contraire logé dans une famille bizarre, 2 jeunes veuves plutôt joyeuses et une plus jeune fille. 3 soeurs, ravissantes toutes trois d'ailleurs. Fleury a trouvé le moyen de se faire présenter au moins 3 jours avant moi.
Le mardi 17 j'ai aperçu une bien jolie personne à 2 pas de l'endroit où j'habite. La petite n'a pas l'air farouche. Joli minois parisien, j'aime beaucoup ce genre.
Le mercredi 18: Messe en l'honneur des morts du groupe. Cérémonie superbe. Je suis d'ailleurs légèrement distrait par la présence de ma jolie voisine dans ses plus charmants atours.
Le jeudi 19 à 6h du matin, départ à l'improviste de nuit (nous devons aller à Château-Thierry avec Fleury, Belliot et ses propriétaires!!)
20_ Passons à Beuvardes.
21_ Arrivons à Courville à 11h et y passons la journée et la matinée du lendemain. Le dimanche 22 à 2h, départ pour Ventelay. Les chevaux et les hommes sont éreintés par toutes ces étapes. Nous couchons à Ventelay dans une superbe baraque abritée heureusement, mais peu blindée. La nuit nous sommes réveillés par une bande d'avions boches, qui de 21h à 3h du matin bombardaient dans les alentours. Nous avons reçu des éclats jusque sur le toit.
Peu agréable sensation que d'attendre ces bombes qui tombent ça et là, n'importe où. Ai dormi tout de même un peu.
Le lundi 23 au soir, en route pour la position. Nous devons aller d'abord au Bois-des-Buttes à 2km500 des lignes; mais les fantassins n'ont pas voulu de nous prétendant que nous les ferions bombarder. Aussi nous a-t-on installés au milieu du bois de Gernicourt dans un nid de batterie. Nous avons du 55 qui nous tire dans le dos.
Le lieutenant est remplacé par l'adjudant Debaise, ce qui fait que c'est moi qui m'appuie toutes les préparations.
Nous sommes peu éloignés de notre première position de Cormicy. Je retrouve dans la batterie mon camarade de Bléan Burbon, dans Courrières. Nous voisinons.
Tout va bien jusqu'au premier août, jour où ayant eu le malheur de tirer sur l'Ancien-Moulin, coin chatouilleux pour les boches (probablement P.C. d'h lourds), nous sommes contrebattus vigoureusement.
Le tir étant terminé nous sommes désaxés; mais dans ce mouvement un 150 est tombé à exactement 6 mètres de moi. J'ai eu une belle frousse; j'ai reçu un tas de terre sur le dos, c'est tout.
6 août_ Nous venons de faire un tir épatant. Il s'agit de tirer sur une batterie invisible à 7 ou 800m de l'Ancien-Moulin. Celui-ci étant le seul point bien visible dans le coin, nous sommes bien forcés de nous en servir comme but auxiliaire. Je calcule les angles avec une grande précision et nous tirons 7 à 8 coups sur l'Ancien-Moulin pour vérifier la direction et immédiatement transport de tir par 20 etc. La chose s'est faite très rapidement et la batterie a dû sauter partiellement.
En 20 minutes le tir était terminé. Les boches toujours sensibles dans ce point ont riposté; mais faiblement. Cette fois, je crois qu'on les a eus.
La mode est ici aux observatoires dans les arbres; toute batterie qui se respecte aménage un arbre d'une quinzaine de mètres de haut. On y voit pas mal; mais le vent vous empêche de ne faire aucune mesure précise.
On a hamac comme sur un bateau. De plus on y est exposé aux éclats des percutants et des fusants, et les obus vous y sifflent très désagréablement aux oreilles.
9 août_ Nous avons ici une cagna pépère aménagée avec luxe, lits, tables, rien n'y manque. Il y a même une superbe fenêtre en toile huilée.
Cette installation confortable me permet de mettre en train ma correspondance bien en retard. Rien ne m'assomme comme d'écrire sur mes genoux; ça me coupe les idées.
Le premier coup du dernier marmitage est arrivé dans les conditions suivantes.
Nous aménagions de notre mieux l'unique cagna bâtie et qui servait de cuisine, salle à manger, bureau, etc. Pour décorer, je clouais des cartes au mur, me disant: "Cela remplacera les portraits des ancêtres.".
Roche notre cuistot qui a souvent des réparties amusantes entame l'air des Cloches!!! "C'est la demeure de nos ancêtres". Il en était là quand: zimboum le tir commence, c'était le marmitage qui débutait. Depuis, nous faisons taire Roche chaque fois qu'il entame son air favori.
15 août_ Nous en avons pris pour notre grade. De 11h1/2 à 15h, marmitage de 210 canon. Notre cantine à vivres est écrasée. Roche est dans une fureur bleue. Malgré les 200 coups reçus nous n'avons heureusement que des dégâts matériels. Ces cochons de boches nous prennent d'enfilade par Berry-au-Bac.
Le Mont-des-Buttes mérite une mention spéciale. Double colline située à 2500m des boches; c'est là que j'ai vu le bois le plus déchiqueté jusqu'ici. Des troncs très nombreux se profilent partout. Pas une feuille sur les grosses branches qui sont seules restées. C'est un spectacle d'une désolation inouïe. Le Mont-des-Buttes est traversé par de longs tunnels dont l'un a près de 500m de long creusé en sape à 10m de profondeur. C'est un travail superbe auquel ont contribué alternativement les boches et les français, le Mont ayant été pris et repris plusieurs fois.
Nous avons des observatoires sur le sommet; ils ont des vues magnifiques sur Beaurieux, Craonne, Juvincourt.
J'ai vu de là le mystérieux Craonne à 4km environ de distance. C'est un tas de pierres sur la pente complètement dénudée du plateau de Californie.
Les observatoires ont des noms délicieux: Yvonne, Jacqueline, Cela fait rêver.
Perché dans un de nos arbres observatoires, j'ai cru avoir le mal de mer tellement le vent me secouait à 11m. en l'air. J'étreignais la binoculaire sur mon coeur. Tordant.
30 août Une attaque devant avoir lieu demain, je suis chargé d'aller cartographier la nuit un observatoire sur le bois des Buttes à côté de Jacqueline. Le Mont n'est pas très sain, de plus le chemin est difficile à retrouver. Il faut contourner des batteries de 75 et ses marmites, traverser des fils de fer, etc Enfin, je m'en suis tiré avec 10 hommes, nous n'avons pas eu d'accident.
C'est égal, j'ai respiré en rentrant à minuit.
31 août 1917_ Aujourd'hui coup de main, h = 19h30; mais nous tirons à démolir depuis 15h. A l'heure h toutes les batteries tirent. C'est à devenir sourd.
1er septembre_ Ce matin j'apprends avec un certain plaisir ma nomination au grade de sous-lieutenant. Je vais m'arranger pour partir en perm. et arroser mes nouveaux galons, ce qui ne se fait que dans les tranchées. (L'adjudant Lefèvre a tenu à les coudre lui-même sur ma manche.)
J'apprends que pour le coup de main d'hier le groupe est cité à l'ordre de l'armée.
1er septembre, suis nommé sous-lieutenant.

_ Ma deuxième permission.
Lundi 8 octobre Toujours à Gérnicourt qui devient très confortable. Ce matin j'ai fait avec un téléphoniste un grand tour en passant par notre observatoire du Mont des Buttes, Jacqueline, Yvonne et la Butte de l'Eduar. Pas d'accident. Il s'agissait de voir derrière la Butte de la Carrière. J'y suis arrivé.
Le bruit court d'une nouvelle attaque sur l'Aisne; elle se produira à notre gauche. Nous n'y prendrons pas part directement; mais nous devrons contrebattre les batteries boches qui pourraient gêner la préparation.
Pour répondre à cet objet, vu notre faible portée, la 15e batterie va partir dans les ravins situés derrière Craonne, et ma section est désignée pour aller s'installer dans la position avancée à la Carrière Lorraine.
Je vais reconnaître le 1er site très triste dans une carrière de craie à droite du bois Martron. Logement potable, toutefois dans des abris cimentés (peu solides d'ailleurs puisqu'ils sont en calcaire). Mes 2 pièces sont … aux saucisses; mais de jour des précautions sont à prendre pour les avions; nous nous protégeons de leurs vues par des bâches blanches. Je vérifie la route à suivre et à cette occasion je traverse Pontavert. Pays très démoli; mais joli et gracieux tout de même au bord de l'Aisne. C'est certainement le plus joli village démoli que j'ai vu jusqu'ici.
Partis le 12, nous avons tiraillé sans déjeuner beaucoup de munitions jusqu'au 24. Ce jour là, le capitaine étant absent; je reçois l'ordre de tirer 500 coups sur la batterie 0832. Réglage superbe par avion fignolé en 5 coups, tir d'amélioration, tirs épatants. Les 2 pièces tirent alternativement à 5 secondes d'intervalle par 12. Mes chefs de pièce Derrien et Ferry arrivent à réaliser chacun 6 coups à la minute; mes 24 coups écrasent les boches en 2 minutes. Panne au milieu du tir, l'avion cessant d'observer.
J'y remédie assez habilement parait-il, grâce à une bilatérale (Mont des Buttes, cote 120) rapidement organisée; le tir a commencé à 8h. Mes 500 coups sont expédiés à 14h.
Mais aussitôt le tir fini, les boches ripostent, heureusement pour nous ils règlent mal et toute la soirée ils expédient leurs 21 sur une malheureuse batterie contre avions à 300m de chez nous. C'est le seul tir important fait à la Carrière Lorraine; mais il a dû être réussi, on a vu flamber les gargousses boches et les types se débinent.
Je reviens le 28 toujours par Pontavert sans avoir reçu un obus sérieux. C'est une veine.

Le 31 je pars pour ma 3e permission.
Celle-ci a duré du 1er au 14. C'est ma première permission de dix jours. J'en profite pour aller à Niort. A l'aller, voyage agréable en compagnie d'un jeune sous-lieutenant de chasseur en compagnie de qui j'ai pu éviter la famille nombreuse. Séjour épatant. 2jours à Niort, 1 à Thorigné, 1 à Saint-Maixent. Revenu par Poitiers. Dans cette ville, entre deux trains, j'ai été traîner vers 10h du soir dans je ne sais quel cinéma de la place d'Armes. Spectacle idiot, mais j'y ai entrevu une petite violoniste délicieusement jolie sous un bandeau de velours, mais tête tout à fait expressive et des yeux!! A la fin du spectacle, disparition de la belle enfant et je me retrouve seul dans ce triste Poitiers, attendant mon train de 2h du matin.
Je me console à mon retour, en liant conversation avec ma voisine, une jeune femme assez jolie et très gracieuse qui va à Epernay tacher de rejoindre son mari officier d'artillerie en partance pour l'Italie. J'ai piloté à la gare d'Austerlitz la jeune femme du confrère, puis retour à Choisy. Le reste de ma perm. s'est bien passé. Beaucoup de théâtre.
Arrivé de nuit à Ventelay aux échelons où j'apprends sans enthousiasme exagéré:
1er que toute la batterie est à la Carrière Lorraine.
2e qu'il va y avoir un coup de main sur Juvincourt.
20h_ Le coup de main réussit épatamment; 475 prisonniers; j'ai pu essayer mon boche sur ceux que j'ai vus. Les boches, pendant la préparation de l'attaque ont fort peu réagis; mais après, autre histoire. En plus des contre-attaques, ils marmitent successivement toutes les batteries repérées.
J'ai assisté à un tir de 3 à 400 coups de 59 probablement sur une batterie de 75 qui se trouve derrière la Mont des Buttes. Qu'est-ce qu'elle a pris! Un véritable incendie s'est déchaîné et les marmites arrivaient avec une rapidité fantastique.
3 décembre_ Nous-mêmes avons écopé dans tous ces tirs. Le M servant la pièce est grièvement blessé par des éclats de 150. On parle depuis 1 mois d'aller au repos, la chose se fait décidément attendre; le secteur devenant très moche.
4 décembre_ Le 3 décembre à 3h du matin, violent bombardement de 105 explosif asphyxiant et vésicant. Un obus asphyxiant étant tombé près de la fenêtre de notre cagna, nous en avons pris une bonne dose le lieutenant Debaise et moi. C'est au point que je ne pouvais plus ajuster mon Tissot (masque à gaz); sans Debaise qui m'a donné un coup de main je ne sais si j'y serais parvenu. Il s'en est ensuivi pour toute la batterie d'une laryngite générale avec extinction de voix qui a duré plusieurs semaines après l'évènement.
Des accidents plus graves dus aux gaz vésicants se sont déclarés plus de dix jours après le bombardement.
De batteries voisines se font encore bombarder constamment et nous sommes toujours sous le feu de 210 et 15 fusants.
10 décembre_ Enfin nous partons pour le repos et quittons sans regret les parages de la Carrière Lorraine.
_ Nous cantonnons à Ventelay, Dravegny, Chandards et Aey-Bormeils où nous restons 2 jours. (Juste le temps d'aller voir le Mar Jouil à Château Thierry) puis nous repartons à Blennes puis à Fromentière, notre lieu de repos définitif.
Je quitte Fromentière vers le 26 décembre pour aller suivre à Vendôme un cours d'orienteur. J'aurais été très heureux pendant les 16 jours qu'a duré ce cours, si nous n'avions été astreints à un travail fatigant que le froid et la neige rendaient insupportable. J'ai assisté là à une pantomime comique organisée par des aviateurs anglais du R.N.A. qui étaient installés à Paulins. L'ennui est que tous les acteurs parlaient anglais. Je me suis dédommagé en regardant la tête des braves bourgeois qui ne pigeaient pas plus que moi et étaient furieux d'avoir payé leur place pour cela.
14 janvier 1918_ Après 3 jours de permission à Choisy, je rejoignis ma batterie le 04 janvier à Florent-sur-Argonne près de Ste Ménehould.
Je suis affecté à l'Etat Major et je reste à Florent. Nous sommes dans un village au milieu de la grande forêt d'Argonne; et les points de vue superbes abondent. Il y a de merveilleux sentiers sous bois qui me rappellent Fontainebleau. Nous restons 8 jours à Florent pour exécuter un coup de main au Nord du Four de Paris; puis tout le groupe rentre à Durincourt-Elise au repos.
Comme il n'est bruit que d'une attaque kolossale des boches sur notre front, je fais en qualité d'orienteur de nombreux voyages en auto pour reconnaître des positions. J'ai visité ainsi la région de Prosnes (Mont Blais, Casque et Cornillet).
Je repasse à la 15e pour refaire un coup de main (c'est décidément notre spécialité) dans la région de Perthes les Hurlus.
Nous mettons en batterie à Wargemoulin. J'ai précédé le groupe de 3 jours avec un détachement de travailleurs pour représenter l'E.M. et à ce titre j'ai eu 3 jours de turbin fou.
L'attaque sur la batterie du Mesnil (12 février 1907, 16h15) a pleinement réussi; le lendemain j'ai été régler ma batterie de l'observatoire Gotha sur la Mamelle Sud à 700m des boches; et l'observatoire étant repéré, j'ai eu à subir un marmitage de 150 pendant mon réglage. Eté en permanence à Klingsing Höhe d'où l'on a des vues admirables sur toute la cuvette située devant la batterie du Mesnil. Debaise partant en perm., le capitaine faisant office de commandant de groupe; je reste commandant de batterie avec l'aspirant Jourdan.
Nous sommes en position dans un chemin bourbeux surnommé le M gazeux.
Le pays est tout simplement affreux; c'est une suite de collines desséchées rocailleuses où ne poussent qu'une herbe rare et quelques sapins nains.
C'est la pleine Champagne Pouilleuse et c'est terriblement triste. Souvenir curieux de Klingsing Höhe, un jour où j'y étais en permanence, j'ai vu à environ 1500m de moi un officier boche et son téléphoniste monter dans leur observatoire et commencer un tir.
Auparavant l'officier avait déplié sa carte et le téléphoniste avait vérifié la ligne, sans se douter qu'ils étaient vus. Inutile de dire que nous les avons soignés. Cet observatoire était très curieux, car il nous permettait de voir les boches à revers. Nous avons surpris bien des mouvements de ce point.
Les boches n'ont pas supporté facilement notre coup de main, et c'est à ce moment que j'ai à placer un triste événement.
L'ennemi nous avait contre-attaqué toutes les nuits pendant 8 jours; mais la surattaque fut plus violente. A 2h du matin il nous fallut déclencher le barrage et cela malgré des vagues gazeuses qui nous arrivaient du plateau. Les hommes doivent mettre le masque pour le tir tellement les barrages en gaz étaient rapprochés de nous. Environ 1/4h après le début du tir, je calculais tranquillement dans ma cagna les corrections du moment quand le brigadier de tir entre très pâle en me criant qu'un obus était tombé à la 4e pièce. Cette pièce était à une vingtaine de mètres de mon P.C., j'y courus et me dirigeant avec ma lampe de poches, car la nuit était très sombre. La pièce avait sauté et ses débris couvraient le sol, à terre 3 canonniers râlaient. Une épaisse fumée nous prenait à la gorge en même temps que les asphyxiants et par terre on marchait dans de grandes flaques d'eau et de sang. Le plus gravement atteint, Baheux, avait la cuisse emportée. Je vois encore le malheureux étendu dans la boue. Nous faisons tous nos efforts pour lui garder son masque. Les autres plus légèrement blessés peuvent être mis de suite à l'abri, mais le malheureux a dû rester près d'1/2 heure dans cette situation; sans brancard il me fallait songer à le transporter.
Baheux est mort pendant le transport. Son enterrement le lendemain matin dans le petit cimetière de Laval fut d'une poignante tristesse. Je conserverai longtemps le souvenir de cette nuit; le désarroi aurait pu être grand car avec le masque nous ne nous reconnaissions plus; mais nos bretons ont tenu le coup et les autres pièces, après avoir laissé le personnel suffisant pour le transport des blessés, continuèrent le feu.
Les boches reprirent d'ailleurs les éléments que nous leur avions pris.
Peu de temps après j'ai quitté Wargemoulin pour prendre ma permission. Un peu mouvementée cette perm., car j'ai assisté aux premiers bombardements d'avions. 4 bombes sont tombées à Choisy. Ce n'est pas drôle. Ma perm. n'en a été pas moins agréable, j'ai couru à droite et à gauche à travers Paris selon mon habitude, mais je n'ai aucun souvenir sentimental à en garder. Laissons faire le hasard.
Je rejoins mon groupe à Vaux le 20 mars, pas pour longtemps d'ailleurs puisque nous allons occuper 2 positions face au Cornillet. Auparavant nous avons participé à une démolition de tranchée qui n'a pas été exempte d'incidents pour nous.
Pour ma part, en qualité d'orienteur, j'ai eu à faire de la topographie dans d'assez mauvaises conditions aux environs de la batterie Le Garrec.
Un marmitage soigné a marqué la fin de nos opérations; je me suis même demandé comment nous pourrons nous en sortir le sous-lieutenant Laucherec et moi, et sans un abri que nous avons découvert après 150m de course à pied sous les obus, je ne sais trop ce qu'il serait advenu.
Le lendemain la 15, mon ancienne batterie, puisque je suis définitivement à l'Etat-Major, après avoir été forcée de se mettre en plein bled, a subi un marmitage de 105 coup par coup. Pour comble de malheur, une pièce a encore éclaté. 14 blessés, seulement toute la batterie aurait pu y passer; mais vraiment ce n'est pas de veine.
Après ce tir nous nous sommes repliés sur des postions à Villers Marmery. Je n'ai pas beaucoup parlé des opérations dans ce texte, celles-ci prennent maintenant une telle importance que je suis obligé de les mentionner brièvement.
C'est ici que se place la grande tentative des boches pour forcer le front français. Leur attaque formidable sur la Somme les a portés jusqu'à Mont Didier où les anglais ressaisis et soutenus par les français purent les fixer et vont, je l'espère, les repousser. Nous, nous restons toujours au repos en expectative. Le pays n'est pas désagréable. J'occupe une chambre avec Belliot et Fleury.
Malheureusement le bombardement de Paris n'arrête pas; le fameux 240 Krupp se met de la partie et je ne suis pas tranquille.
31 mars_ Pâques fleuries, assisté à une messe superbe d'été dans l'église du petit pays où je me trouve. Prédicateur d'une éloquence rare et un violoniste merveilleux. Le soir, concert donné par 1 fantassins, retrouvé mon violoniste en train de figurer dans l'orchestre en qualité de grosse caisse. Grandeur et décadence!
Vendredi 12 avril Nous sommes toujours en réserve au Mont de Billy à quelques kilomètres de Villers Marmery. Je viens d'assister à un spectacle impressionnant. Les boches viennent d'allumer dans Reims un incendie gigantesque. Toute l'après-midi nous avons vu une épaisse fumée noire s'élever de la ville et couvrir l'horizon du Nord au Nord Ouest. Le soleil couchant lui a donné des tons violets d'un effet très curieux. Mais le plus tragique c'est la nuit. De plusieurs points de la région on voit Reims très facilement. Je me suis rendu à un de ces points. J'ai pu voir de hautes flammes s'élever de toute la surface de la ville. Rabattues au Sud Ouest par le vent, elles étaient extraordinairement brillantes et agitées sur la droite.
On croirait une chevelure de feu caressée de temps en temps par une main invisible. Nous sommes restés longtemps silencieux à contempler ce spectacle inoubliable.
27 avril_ Toujours au même endroit. L'offensive de la Somme reprend. Nous sommes dans le plus grand calme. Aujourd'hui j'ai commis quelques vers, ce qui ne m'était pas arrivé depuis longtemps.

Hallucinations

J'ai composé pour toi un bouquet merveilleux
J'ai répandu partout les fleurs et les lumières
J'ai marié de mes mains les roses et le lierre
Et j'ai cherché les tons qui te plaisent le mieux.

Dans mon humble cagna j'ai tout bouleversé
J'ai voulu lui donner l'aspect le plus aimable
Et j'ai cherché à mettre en disposant la table
Chaque objet à l'endroit où tu l'aurais placé.

Dans la nuit resté seul avec mes souvenirs
Il m'a semblé soudain que tu allais venir
Est-ce un rêve doré? Est-ce un songe de fièvre?

J'ai senti se pencher ton buste gracieux
J'ai senti ton regard illuminer mes yeux
Et ta lèvre brûlante a rencontré ma lèvre.

R.L.

Réflexion faite, ils sont idiots et pourtant c'est bien cet état d'esprit que je voulais rendre, mais je n'ai évidemment pas la manière.

Le 24 ? mai 1918, à 14h, un ordre vient secouer notre apathie. Nous sommes de nouveau alertés à "2 heures". C'est à dire que nous devons chacun pouvoir partir dans ce délai.
L'ordre arrive dans la nuit et nous partons à 2 heures du matin. Le groupe va cantonner à Saint-Imoges; mais je pars avec une reconnaissance rejoindre à Roucy le colonel Gougin. Les 3 groupes étant réunis, les 3 commandants de groupe (capitaine Maury, commandants Estang et Hempine sont en avant en voiture légère), les autres officiers suivent en camions.
Nous arrivons sans encombre à Jonchery. Là quelques obus dégringolent vers la gare, mais les attribuons à des pièces contre avions à correcteur mal réglé et continuons vers Roucy par la route de droite. Un cantonnier lève les bras au ciel en nous voyant passer et essaie de nous dire quelque chose que nous ne comprenons pas. Nous arrivons à 2km de Roucy quand la voiture légère du commandant arrive derrière moi à une vitesse folle, arrête les camions et fait faire demi-tour.
Les boches sont à 1km de Roucy. Ils ont pris le Mont des Buttes, Gernicourt, Beaurieux dans un rien de temps. Les 3 commandants de groupe arrivés à Roucy par la route de gauche y ont été reçus à coups de mitrailleuse. Ils sont retournés en vitesse, comptant nous arrêter au passage. Ne nous voyant pas, ils ont deviné que nous avions pris l'autre route et ils ont envoyé l'autre voiture nous arrêter à toute vitesse. Il était temps. En revenant, nous recevons quelques obus à Jonchery et y sommes mitraillés par des avions boches volant très bas.
Nous rejoignons Saint-Imoges.
27 mai 1918_ Le matin, départ à 5 heures, nous devons cantonner à Fismes. Le logement est parti en avant avec Belliève. Je précède la colonne de peu avec mes éclaireurs Goubeaux, Roillet, Giron. Nous faisons gaillardement les 25km qui nous séparent de Jonchery; mais je suis informé que Fismes et sont pris dans le bourg par un côté l'infanterie et par des tirs de mitrailleuses et que Jonchery devient dangereux. Je rejoins l'échelon pour arrêter le groupe.
J'arrête le groupe et je vais jusqu'à Rosnay sans rien remarquer de bien anormal, lorsque le cycliste m'annonce que notre logement est avec celui du régiment presque prisonnier dans Jonchery à cause du matériel anglais qui se replie sans ordre. De plus le 1er groupe se trouve embouteillé et une attaque ennemie menace, nous avons parait-il des fantassins ennemis en marche vers Jonchery. Je me félicite d'avoir arrêté le 2e et le 3e groupe. Tout se termine bien pour le 1er groupe. Notre régiment revient, non sans avoir essuyé quelques coups de feu et Jonchery est pris.
Ordre nous est donné d'aller cantonner à Lagery.
Je suis sur la grande route de Reims. Les boches ont formidablement avancé depuis jusqu'à Reims. Je vois défiler des théories de femmes et d'enfants et des vieillards avec des cabas disparates contenant tout leur avoir. Des femmes font à pied des marches de 30km pour fuir l'ennemi qui arrive en incendiant tous les villages.
J'assiste en même temps à la débâcle anglaise. D'abord pendant 3 heures j'ai vu défiler sans ordre des blessés et des éclopés anglais. Puis un interminable défilé de batteries qui n'ont plus un seul canon. Rien que des avant-trains, des caissons et des chariots. Je suis interrompu dans mes pensées par 4 ou 5 avions boches qui viennent bombarder et mitrailler les colonnes.
Le soir nous devons continuer à Lagery; mais les boches ayant avancé jusqu'à Arcy-le-Ponsart, c'est à Aougny que nous avons passé la nuit. Ce jour là avec nos éclaireurs j'ai fait environ 55km à cheval. Le lendemain matin, départ à 5h, les boches sont à 2 heures de marche derrière nous. Partout nous trouvons des fantassins déployés en tirailleurs dans les champs de blé. Nous allons jusqu'à Romigny où nous mettons en batterie pour un jour.
Je fais la reconnaissance d'observation. Ils se trouvent près de Lagery; mais on y est moins bien que la veille. Pour la première fois depuis nos mouvements nous sommes marmités. Les boches ont profité de l'arrêt causé par notre résistance pour amener leur artillerie. C'est en nous faufilant entre des tirs de 150 que nous arrivons au point d'observation.
Nous partons le soir même de Romigny pour la région de Vassy-Vassieux. ( du retour, , Dormans par le Nord).
Mission: se mettre en batterie derrière la Marne de façon à barrer la route pont de Verneuil _ Passy Grigny, le plus au Nord possible.
Pour répondre à cet ordre nous installons une batterie à 1000m de la Marne dans Vassieux, les 2 autres à 3000m environ, le P.C. est à Vassy. Le choc ne se fait pas attendre, dès le lendemain les boches harcèlent toute la région. Nos batteries font de très bons tirs sur ;
mais sont limitées par l'approvisionnement en munitions.
Notre P.C. du groupe est bouleversé par un obus. Nous le transportons dans une autre maison. Le boche manifeste pendant 2 jours une grande activité, puis se calme sans avoir pu agrandir l'angle Marne, Verneuil, Passy Grigny qui limite la Semoigne; ils se rejettent sur Paris et cherchent à se glisser entre l'Oise et la Marne_ 1914 recommence. Pendant ce temps, nous habitons toujours Vassy, malgré le marmitage. La vie y est agréable, j'avoue que les volatiles du pays sont souvent invités à notre table. Le 6, le commandant Thibau revenu depuis 2 jours de permission reprend le commandement du groupe et décide de transporter le P.C. à la maison forestière de la Grange aux Bois.
La situation semble stabilisée et la guerre de positions recommence. Je conserve le souvenir de notre retraite et les tableaux poignants des émigrés marchant sans trêve vers le Sud, cherchant à fuir l'envahisseur. C'est le spectacle le plus désolant de la guerre.
Le groupe a beaucoup souffert pendant le départ du séjour à Vassy. 4 tués, une vingtaine de blessés et une vingtaine de chevaux et 3 pièces hors service.
La maison forestière de la Grange aux Bois est une sorte de joli petit château. Nous éprouvons une joie bizarre à faire la guerre dans une maison meublée avec goût, tapis, tenture s, pianos, etc. Dans le salon qui est très joli est installé le P.C. Marix, et il est curieux de voir le plan directeur de la région voisiner au mur avec quelques bonnes toiles et sur les tables. Ces papiers de tir se mêlant aux dernières revues et à quelques brochures musicales.
Je ne reste pas longtemps d'ailleurs dans cet Eden, étant appelé chez le commandant Reynier qui commande en ce moment le régiment (au Vivier?). J'ai passé là 8 jours assez tristes, renfermé. Je me suis reposé; et si peu, seulement le plaisir de faire connaissance avec l'E.M. du 1330 (commandant Estreny, lieutenants Massu et Legin, docteur ) des gens charmants et poseurs. La nouvelle d'un déplacement survient, je retourne au groupe, car le commandant manque d'orienteur et je fais les reconnaissances préliminaires. Nous remontons au Nord de la Marne, par Damery, Fleury, etc. et allons installer le groupe dans le ravin de Paradis à 3000m des boches. Le secteur est assez actif, le pays délicieux.
Je vais faire les reconnaissances d'observatoires; ceux-ci se trouvent à 600m des boches, il est nécessaire de prendre quelques précautions. Brusquement je suis envoyé en liaison pour 24h chez le colonel d'infanterie. "Ports de Fer" est le surnom de son P.C.. Cela sent bien la 4e DI, la Vaillante dont nous faisons partie. Je passe ces 24h très agréablement.
Chez les fantassins, qui quoi qu'on en dise reçoivent fort bien les artilleurs. Ayant un réglage à faire par T.P.S et T.S.F., je choisis comme observatoire la Ferme du Champlat distante à peine de 300m des plus avancés des boches. Mon réglage se poursuit d'ailleurs normalement. J'ai une bonne cote chez les fantassins qui veulent tous me garder à déjeuner. Relèvement, je me repère en mettant à jour mes travaux de topographie. Cet exercice me fait faire pas mal de chemin et je suis heureux d'en finir.
En effet nous n'avons là que de faibles données topographiques et il faut faire soi-même le canevas du tir.
(Voir complément du au 4juillet.)
4 juillet 1918_ Ce soir j'ai l'âme poétique, je sens le besoin d'écrire. Il y a longtemps que cela ne m'était pas arrivé. Pendant 15 jours le P.C. du groupe a été à Belval, joli petit pays qui par un hasard extraordinaire n'a pas reçu une marmite, bien qu'à 4000m des lignes. Nous habitons une superbe maison à 2 étages et étions les rois du pays. Pas mal de travail, car les batteries ont changé souvent de position. J'ai topographié des positions juste devant Baslieux.
Maintenant nous sommes installés sur le bois de Courton derrière La Poterne. Mon domaine se compose d'une charmante cabane en planches, éclairée à la fusée éclairante et meublée princièrement d'une table acajou, d'un lit laqué blanc et d'un superbe fauteuil.
Cette vie simple au milieu des bois a son agrément, ce soir au crépuscule, je me suis promené seul pendant 1 heure en lisant mes lettres; une sensation délicieuse de repos, d'isolement, de bien-être m'entourait. J'avais justement ce soir une lettre de ma cousine Alice de Bordeaux.
Il y a 6 ans étant potache je l'ai vue à Saint-Maixent. J'en ai été follement amoureux pendant au moins 1 mois, aussi ce mot m'a-t-il réveillé un tas de souvenirs en moi.
Dès que j'aurai un moment, je vais répondre par une lettre spirituelle, pittoresque et légèrement émue.
Ce soir j'étais dans de bonnes dispositions, mais j'ai été dérangé tout le temps par le téléphone. C'est si délicieux d'écrire à une jeune fille! Heureusement que je ne m'en fait pas, car à la guerre comme à la guerre.
14 juillet 1918_ Toujours camouflé au plus profond des bois. Les boches nous laissent bien tranquilles; mais on nous tient en alertes continuelles. C'est qu'ici, nous n'avons plus la Marne pour barrer le chemin et il faut à chaque instant être prêt à tout. Les lignes sont à peine indiquées par quelques trous. Les fils de fer commencent seulement à se fixer.
Il parait que beaucoup de prisonniers ont été faits des 2 côtés, qui s'étaient simplement trompés de chemin et étaient passés à l'ennemi sans s'en apercevoir. Aussi, moi qui ai beaucoup d'observatoires avancés à étudier et à rechercher ici, j'ouvre l'oeil. Ici les premières lignes ne présentent pas cet affreux aspect de tranchées retournées par le tir ennemi, au contraire, ce sont des bois, des prés où l'on ne voit personne. (Le plus important, j'ai des observatoires situés sur la route de La Neuville à Chambrecy en limite du bois de Courton. J'ai reconnu de plus plusieurs points d'observation à Champlat et sur la lisière Nord du bois de Rosnay).
L'alerte d'hier soir (les boches n'ont d'ailleurs pas attaqué) nous a valus la visite d'une quasi-célébrité, le commandant Garibaldi, un des petits fils du héros de 70.
Celui-ci est un homme d'environ trente ans, visage rosé, un sourire très fin, parle très bien le français.
Son bataillon est en réserve près de notre P.C. et il venait voir ce qui se passait, ayant des liaisons insuffisantes. Comme nous devions rester debout toute la nuit, il est resté à sabler le champagne en notre compagnie jusques vers 2 heures du matin. J'ai noté que sa vareuse, d'ailleurs très élégante, laissait passer au col la fameuse chemise rouge des garibaldiens.
J'interromps mon récit pour ajouter ici une impression que j'ai envie de noter en temps utile. Lorsque nous sommes arrivés de nuit à Vassieux, j'étais éreinté, ne tenant plus debout, mon esprit était peut-être propice aux hallucinations, mais je me souviens fort bien que dans ce pays où je n'ai jamais été, j'éprouve l'impression du déjà vu et du déjà fait. Le coin où nous le parc, l'école où j'ai couché, rien de cela ne m'apparaît comme nouveau. Bizarre phénomène.
Le 14 ou plutôt le 15 à minuit, le boche attaque. Depuis 15 jours il se tenait tranquille, à l'heure où j'écris ces lignes il gratifie nos lignes d'un joli petit marmitage. Nous contrebattons vigoureusement.
2h du matin_ Nous sommes enfermés dans le P.C. à cause des gaz. Depuis 2h c'est un roulement continu et formidable. Nos lignes télé ont toutes été coupées au début; maintenant nous avons pu rétablir notre liaison avec l'A.D., avec la 4 et la G. Par plantons avons la 5. Déjà 2 très grièvement blessés, 1 à la 4 et 1 à la 5, les batteries les plus exposées. L'attaque aura probablement lieu au petit jour. Le commandant Garibaldi est venu nous rejoindre. Maintenant que la ligne et les liaisons sont rétablies, je ne constate aucun affolement.
2h30 Le roulement continue. Calme. On attend.
2h40 Tuyau officiel. Le boche attaque à 3h. Nous préparons nos barrages. Les agents de liaison auront-ils le temps d'arriver.
7h25 Au milieu du marmitage, le boche a attaqué vers 4h30.
Le boche a pris Cuchery, on dit qu'il a pris le pont de chemin de fer et le . Nous craignons d'être tournés par Belval ou par Paradis et trouvons cette situation assez mauvaise.
Notre P.C. est maintenant mixte avec celui du commandant Garibaldi. C'est un va-et-vient continu de plantons français et italiens.
16 juillet 23h40 Avec le jour est arrivé un violent marmitage de 55 à fusées instantanées sur le bois de Courton. Nos batteries tirent tout de même. Contre préparation, puis barrage rapproché, puis tirs de plus en plus près.
Peu à peu toutes nos lignes téléphoniques sont coupées.
Vers 9h, le marmitage intense continuant, nous sommes sans action. L'ordre arrive de faire évacuer la 5e batterie. Chose plus ou moins facile. Elle se trouve devant la ligne de résistance Ellica avec 5 tués et 10 blessés, mais a continué son tir en utilisant des fantassins ramassés à droite ou à gauche. Pendant un arrêt du marmitage, elle parvient à enlever ses 4 pièces et tout son monde.
Chose merveilleuse, elle avait quelques 1200 coups le matin, elle a été marmitée sans interruption pendant 9h de suite et a pu en balancer la presque totalité (1100). La 4e batterie a encore des pertes sérieuses et un repli difficile.
Le groupe a tiré en 12h environ 3800 coups, nombre rarement atteint. Le ravitaillement s'est effectué sous le marmitage intensif. Revenons à l'histoire de l'E.M..
A 9h20 nous avons nos lignes téléphoniques coupées, hachées; réparation impossible. Nous attendons. Nous avons fait venir des fourgons pour emballer le matériel. Nous sommes parvenus à enlever le plus précieux; puis tout notre matériel. Plus tranquilles ceci fait, nous attendons des ordres. Nous sommes environ 60 artilleurs français et fantassins italiens tassés dans un petit abri. Impossible de mettre le nez dehors. Nous voyons arriver de temps en temps un agent de liaison italien racontant des choses incompréhensibles pour nous; mais avec des airs affolés caractéristiques. Le commandant Garibaldi le renvoie systématiquement après quelques mots brefs impigeables: "Vade, racontare non di storia".
Les boches s'avancent parait-il, la situation devient grave. Déjà bien des poilus croient (comme le marmitage a brusquement cessé) les voir arriver. Le commandant met un factionnaire, baïonnette au canon à la porte. Le docteur regarde ces préparatifs guerriers d'un assez mauvais oeil.
Mon éclaireur, le brigadier Chaquet et le téléphoniste reviennent à ce moment là de La Neuville, ils n'ont quitté leur poste que parce que la guérite a été démolie par un obus. Ils ont eu la présence d'esprit de sauver les cartes et le matériel.
Vers 11h on annonce qu'un bataillon italien demande un guide à notre commandant pour le mener à La Neuville. Il doit contre-attaquer. Comme je connais pas mal le terrain, je me propose et le commandant Thibon accepte sans enthousiasme après une assez longue discussion avec le commandant Garibaldi qui veut m'imposer un itinéraire, je pars avec Castelli au départ. Le commandant Garibaldi me serre la main d'une manière significative. Malheureusement son officier adjoint m'envoie attendre la batterie à la 2e compagnie en avant, et le bataillon passe par un autre chemin, si bien que j'attends en vain. Un homme envoyé aux renseignements ne revient pas. Je cause longtemps avec un sous-lieutenant de la 2e compagnie, tout jeune, qui parle à peu près le français.
Ne voyant rien venir, je cherche le bataillon jusque dans les environs de ce no man's land et je rentre au P.C. vers 13h, après 2 heures de course, un peu déçu. Le commandant italien m'annonce que le bataillon a pris une autre route, il me demande mon nom. Pendant ce temps tout l'E.M. a reçu l'ordre de se replier et le commandant Garibaldi me transmet l'ordre de rejoindre le groupe à Romery. J'y retourne avec Castelli sans incident et j'y apprends que les boches ont passé la Marne en 2 endroits.
Je me remets à la disposition du commandant Thibon qui avait eu des craintes pour nous et paraissait heureux de nous revoir.
Nous reconnaissons des forêts vers la Briqueterie au Nord de Hautvillers.
Contrairement aux hypothèses, la nuit se passa bien. Le lendemain, je topographie les batteries en 1/2 jour. Nous apprenons vers 21h que le boche a pris Nanteuil et s'avance vers nous en faisant une poche, de sorte que Pourcy est encore à nous. Ordre de se méfier pendant la nuit.
18 juillet 1918, midi La journée du 17 s'est passée relativement tranquillement. Notre liaison d'infanterie (aspirant Jourdan et brigadier Chasnet) devait essayer de nous régler par T.P.S._ T.S.F. d'un observatoire avancé. Ils sont tous deux blessés. Le soir je vais reconnaître les positions dans la région de La Neuville, Champillon (1er village où j'ai cantonné en revenant sur le front), puis en rentrant, ai admiré un barrage déclenché sous l'orage. Au crépuscule c'est superbe. Les nuages bas sont illuminés alternativement par des éclairs et par les flammes des pièces.
Le 18 au matin nous attaquons. La 5e batterie a encore un tué et trois blessés par éclatement prématuré.
Des tuyaux arrivent. Le boche a parait-il beaucoup souffert dans son attaque. Nous occupons Belval, qui n'était pourtant pas prévu dans les objectifs d'attaque.
10h La poche de Nanteuil parait se combler. A gauche, renseignements incertains. Le général Mangin à la tête d'une armée de tanks vient d'arriver aux portes de Soissons vers L'Oulchy-le-Château.
Serait-ce le commencement de la fin.
18 juillet 22h_ Les bonnes nouvelles affluent. avait dépassé Oulchy et arrive à Leury; Soissons est à nous; devant nous l'artillerie boche se retire parait-il, peut-être allons nous avancer cette nuit.
19, le soir à 14h; Ordre de faire rapidement une reconnaissance dans la région de Fleury, Romery. Je reconnais 2 positions avancées au Nord de Fleury, et une position 1km plus à l'arrière.
Dans la nuit arrive un ordre. Nous attaquons. Nous faisons en vitesse le travail de charpentier pendant que les batteries vont prendre position. La 4 a une assez déjà très ypéritée. Dès son arrivée elle perd 4 hommes (2 grands blessés et 2 plus légèrement). A 6h tir de préparation interne, à 8 heures, heure H, martèlement formidable. Nous rendons aux boches la monnaie de leur pièce. Français et écossais avancent avec entrain. Le bois de Courton, objectif principal, parait repris. Il était parait-il rempli de cadavres boches victimes de notre bombardement.
_ Nous voyons arriver des prisonniers.
_ Dans la soirée, le calme parait renaître.
28 juillet_ Il y a eu un arrêt marqué dans l'avancée. Le boche s'accroche désespérément à ses dernières positions et se défend énergiquement. C'est un harcèlement continuel. Nous logeons dans les caves de Romery; mais nos malheureuses batteries se sont fait repérer et sont encore assez marmitées. Les demandes de renfort arrivent. Je lis 27 pour la 4 et 24 pour la 5. Celle-ci en est réduite à 8 servants, même pas une équipe de pièce.
Le commandant prend sur lui de l'envoyer au repos à l'échelon, puisqu'il est peu probable que le groupe y aille. (Les éléments endivisionnés sont plus heureux que nous dans ce rapport.)
25 juillet_ La guerre d'usure recommence ici; mais sous son aspect le plus inquiétant. Harcèlement continuel de part et d'autre; attaques pour la conquête des crêtes les plus rapprochées qui font perdre du monde et gagner peu de terrain.
Je vais à 13 reconnaître un observatoire d'où l'on puisse voir l'ensemble du secteur et Paradis.
Je le trouve dans les environs de la 5e batterie (forêt de Nanteuil), presque en première ligne; le bois de Nanteuil, si beau lorsque nous l'avons quitté, a bien changé d'aspect; En butte à un harcèlement continuel, tous ses beaux arbres sont abîmés ou démolis; ses fourrés recèlent en quantité des cadavres d'hommes et de chevaux qui répandent une odeur pestilentielle qui se mêle à celle des obus toxiques. Le paradis est devenu un enfer. J'ai la chance dans ma reconnaissance d'échapper à ces harcèlements et je pus arriver au 3e bataillon de R.I. sans incident grave.
Le chef de bataillon est tout jeune et me reçoit fort aimablement. Très belle tête indienne encadrée d'une barbe noire et poivrée. Les troupes qui sont en face de nous sont, me dit-il, les meilleures de l'Allemagne, ce qui n'a rien d'étonnant puisque le centre de l'attaque était sur Epernay.
Il existe une ligne de fantassins boches pourvus chacun d'une mitraillette et reliés entre eux téléphoniquement. Les grands centres ont une mitrailleuse et 5 servants. Nos bombardements sont peu efficaces contre ces hommes peu nombreux protégés des éclats et lors de nos attaques ils nous font beaucoup de mal. Le commandant se déclare plein d'admiration pour le dévouement de ces hommes.
Le 26 juillet, essai d'attaque avec tous réussit partiellement. L'action de l'artillerie n'est pas suffisante je crois, de nous accorder chichement 200 coups de préparation et on nous en fait balancer bien plus par C.P.O..
27 juillet_ Ferme de Beauregard, 16h30 Le matin, attaque à droite et à gauche. Vers 6h10 tir jusqu'à 9h après incertitude, à 14h ordre de porter la 5e batterie à côté des autres et d'avancer le P.C. du groupe (à 11h message de Châtillon et l'ordre d'a à droite le fameux Paradis ) à Beauregard. Je m'y rends en avant pour établir les liaisons. Quelques instants après nous arrivons à l'antenne du 30 installée à côté de la pièce 3. L'ennemi s'est réglé au Nord de la ligne Cuisles, .
Nos patrouilles de cavalerie ont repris contact à Villers-Agron.
Je crois que la grande poche se résorbe continûment. En face de nous le bois de Cobotte résiste encore parait-il.
Il pleut par averses, il fait de la boue, mais l'enthousiasme réchauffe. Il n'y a que les chevaux qui ne paraissent pas apprécier complètement la beauté de la situation.
3août_ Que de déplacements encore pendant ces 6 jours!
Le 17 à Beauregard, je reçois l'ordre de revenir à Romery, ce n'est plus à Beauregard que nous allons nous installer, mais en plein dans les bois de Nanteuil à notre ancien P.C. du 15 juillet.
Dans quel état retrouvons-nous le bois, outre le marmitage, les allées se sont transformées en o . La circulation est impossible. Le 45 à Paradis et la 60 sur carrefour.
Les abords des batteries sont infectés de cadavres français et boches.
Un tir de mitrailleuse, de mitraillettes depuis nous prouve que le boche a laissé des plumes.
Pendant 2 jours nous allongeons le tir jusqu'à la limite de portée.
A la fin la ligne Romigny, Ville-en-Tardenois se dessine, il va falloir s'avancer. Mais l'ordre arrive d'aller en reconnaissance à Ludes près de Reims. Nous y allons et le lendemain nous nous trouvons installés dans un secteur, avec tranchées, f de batterie repérée SROT, voie de 0,60 m. En pleine guerre de position je vis et d'autant mieux organisé, que notre secteur (de Verzenay à l'Est de Reims) n'a pas bougé depuis 4 ans.
De vieilles forêts de 1914 sont encore près de nous. Nous nous appuyons sur les contreforts de la Montagne de Reims, d'où nous avons des vues magnifiques sur Reims et sur tous les monts, sur toute la vallée de la Vesle, si riante et si jolie malgré la guerre. D'ailleurs coin très calme jusqu'ici.
Aujourd'hui nous apprenons un nouveau repli boche. Nous avons Soissons et nous à 510m au-delà de la route Dormans-Reims.
8 août Verzenay.
Le boche est fixé sur la Vesle. Pour moi c'est un journal de vacances, je dois aller à Lagery voir l'E.M. du commandant Reynier et chercher l'A.D. je ne sais où. L'auto de la section à ma disposition. Je vais profiter de cette aubaine pour visiter tout le pays reconquis, et en même temps, si je puis passer par Cuisles. J'irai voir si je ne puis avoir des nouvelles de ce pauvre Monsieur Vallade disparu depuis le 15 juillet.
Départ vers 10h. Je file à travers la Montagne de Reims par Germaine et Saint-Imoges. Je voudrai passer à Pourcy où la lutte a été si violente, mais l'état du chemin s'y oppose, je me résigne à faire le tour et arrive à Marfaux. C'est là que commence la zone démolie; tous les pays: Marfaux, Chambrecy, Chaumuzy, Ville-en-Tardenois, Romigny, tout l'ancien secteur de nos objectifs sont bouleversés. Les mieux réussis, s'il est permis de s'exprimer ainsi sans paraître cruel, sont Chambrecy et Chaumuzy.
Chambrecy, surtout, est en triste état; d'après les trous que l'on voit tout autour, les projectiles sont tombés au max. à 5m les uns des autres. Les arbres qui restent sont complètement dénudés, c'est comme un hiver qui serait passé sur le pays. Des maisons, il ne reste que des tas de pierres informes desquels s'élèvent de place en place des arêtes de mur s, des pans à demi éboulés. On croirait sans la réverbération du soleil de midi un désert de calcaire blanc d'où s'élèvent de gracieuses stalagmites.
De part et d'autre de la route des cadavres de chevaux en décomposition infestent l'air. Vers Ville-en-Tardenois l'auto arrive assez facilement dans l'ancienne zone des batteries boches. Je contemple ce ravin mystérieux qui a toujours échappé à nos regards et même la saucisse ne les voyait pas. Les traces d'anciennes guérites de batterie sont visibles, partout des débris de matériel et surtout des marmites jonchent le sol. Le nombre de mortiers de 150 devait être considérable vu le nombre de douilles qui se trouvent encore là. Partout on sent mélangée l'odeur infecte des cadavres, le parfum suspect de l'ypérite et des gaz qui sont restés dans ces bas-fonds.
Avant de quitter Ville-en-Tardenois, j'aperçus dans le clocher le trou magistral que j'ai vu faire par la 5e batterie.
La route jonchée de plâtre et de pierres, constellée de trous d'obus, est mauvaise et le chauffeur a besoin de toute son attention pour nous conduire. Vers Bligny, j'aperçois quelques coups épars, derniers souvenirs que nous envoient les boches.
Nous arrivons à Romigny, où nous avons mis en batterie il y a deux mois, le pays a moins souffert, mais toutes les maisons sont traversées, beaucoup ne tiennent que par miracle. Notre ancien P.C. a lui aussi reçu un obus. De Romigny, nous filons sur Lhéry, puis Lagery. Tous ces pays sont mieux conservés car ils constituaient les arrières boches, à Lagery je trouve le commandant Reynier installé précisément dans la maison où j'avais vu le major de cantonnement faire sa cantine avec une précipitation comique et où le lieutenant-colonel du 62 m'avait renseigné.
Après déjeuner, nous repartons par Aougny, route épouvantable transformée en piste par le ravitaillement boche et d'ailleurs bien arrosée par nous.
Puis viennent Olizy, Violaine. Chaos pittoresque et désolé, nous filons jusqu'à l'entrée du bois de Raney. Là, je m'arrête et descends à pied jusqu'à Cuisles. Contrairement à ce que j'attendais le pays n'est pas trop démoli, la violence du marmitage l'a probablement épargné aux dépens de Baslieux et Cuchery où je n'ai malheureusement pas le temps de me rendre. Je veux voir s'il n'y a pas moyen d'avoir des nouvelles de ce malheureux 251 dont faisait partie Monsieur Valla qui n'a pas donné de ses nouvelles depuis le 15.
Je vais au cimetière guidé par un sous-lieutenant très aimable de l'ambulance du château. A ma grande surprise, je constate que les boches, après le 15 ont enterré nos morts avec autant de soin que les leurs. Les fiches qu'ils y ont mises sont intactes et lisibles. Je cherche et ne trouve pas le nom que je craignais de rencontrer. Cela ne prouve rien, évidemment; car de nombreux cadavres gisent encore dans les vignes; mais cette visite fera plaisir à cette jeune femme si éplorée.
Le temps a passé, aussi est-ce à toute vitesse que nous pénétrons dans le bois de Raney et que nous arrivons à Châtillon, où une fois de plus j'admire le panorama magnifique de la Marne que l'on peut regarder maintenant en toute tranquillité, et dont la rive Sud, élégante et boisée, parsemée de villages coquets et de châteaux pittoresques, se déploie devant les yeux comme une Terre Promise.
Quelle tentation dut avoir le boche en contemplant ce magnifique spectacle.
Après être passé au C.A. de Vandières, je reviens à toute vitesse jusqu'à Damery. Promenade délicieuse sur les bords du fleuve par ce bel après-midi. Je regrette de ne pas avoir auprès de moi quelque jolie figure qui parerait ce splendide décor.
Nous traversons Binson, Reuil, Tincourt, Venteuil. D'abord des ruines sauvages qui sont moins tristes que celles de la région de Ville-en-Tardenois, car le décor environnant les pare d'une poésie particulière; les autres étaient plus désolées.
Après Venteuil, c'est la vie qui renaît, Damery et Cumières à peine démolis voient revenir leurs habitants. Déjà les fenêtres se rouvrent. Des paysans sont déjà sur les vignes et lient les ceps aux échalas. Le passage rapide de la désolation complète à la gaîté de la vie nouvelle est des plus poignants.
Par le à Damery, agréable impression, sortant des bureaux de l'A.D., j'erre dans le couloir de la maison dont les propriétaires réemménagent; une porte voisine de celle des bureaux s'entrouvre et je vois apparaître un délicieux visage de jeune fille; malheureusement, la belle enfant surprise d'être vue en négligé rougit et referme vivement la porte, et la vision disparaît pendant que j'ébauche un salut.
Le chemin de retour par ce vieux Champillon que j'ai tant de fois revu depuis mon arrivée au front par Gesnes et Mailly s'effectue en toute rapidité car je m'aperçus que je vais être en retard pour l'heure du dîner. Gare à l'amende.
Le 12 Le lieutenant Launeau, mon remplaçant à la 6 est tué par un 105.

Le 13 Départ en permission.
J'avais droit cette fois-là à 12 jours de permission, mais elle me parait maintenant encore plus courte que les autres. Je l'ai passée presque toute entière à voyager. Circuit: Choisy, Mer, Bordeaux, Royan, Thorigné, Saint-Maixent, Paris.
Voilà ce qu'on peut appeler une permission à multiples destinations. J'en détache 2 souvenirs très agréables.
C'est d'abord la rencontre avec ma cousine Alice de Bordeaux.
Par suite d'un malheureux hasard, je ne pus la rencontrer le matin en arrivant. Ce n'est que le soir à 7h, lorsqu'elle arrive prendre son service au bureau de la Bourse que nous pûmes nous voir.
Je me rappelais assez vaguement d'un joli visage mutin et d'un accent bordelais très drôle, souvenirs d'un voyage à Saint-Maixent, il y a 6 ans. Depuis j'avais appris qu'Alice était devenue grande et forte et je craignais qu'elle soit devenue moins jolie.
Aussi, quelle heureuse surprise en voyant se détacher sur le quai de la Gironde une silhouette élancée et de retrouver le gai visage moqueur que je connaissais. En 1 minute nous étions redevenus amis et j'ai passé 1h délicieuse en sa compagnie, ravi par les spirituelles remarques qu'elle agrémentait de son accent marquant. Mais, très tôt elle dut rentrer à son bureau et je pus l'apercevoir en train de travailler, toute mignonne dans sa grande blouse noire.
J'aurai bien voulu l'emmener à Royan!
De Royan, je conserve le souvenir d'un agréable séjour rendu aimable par le cadre charmant d'une maison de famille à l'anglaise. Les repas, surtout, étaient délicieux. Nous mangions entourés de fraîches toilettes d'été et de charmants visages. Selon la coutume anglaise, le service était fait par les jeunes filles de la maison, toutes très distinguées et très aimables; je conserve en particulier le souvenir de Mademoiselle D, dont les grands yeux noirs ou marrons me donnaient bien des distractions pendant le repas. Séjour trop court, hélas.
Retour à Vertus (Ouest de Châlons, Sud de Reims). J'arrive au milieu d'un concert et apprends que nous embarquons le lendemain à 4h.
_ 30 Journée passée en chemin de fer. Nous arrivons dans les Vosges par Vitry-le-François, Bar-le-Duc, Neufchâteau jusqu'à Vaucouleurs. Là, contrordre, nous faisons demi-tour et j'arrive le 31 dans la région de Verdun.
De ce rapide passage sur la limite de la Lorraine et des Vosges, je conserve le souvenir des collines boisées de la Meuse et des plateaux lorrains couronnés de sapins noirs.
1er septembre Débarqué hier à Souilly, nous sommes aujourd'hui en attente dans un camp près de Récourt.
3 et 4 septembre Eté en reconnaissance dans la région de Watronville au fort de Rozelier; ai même été le 4 avec des hommes pour préparer la position, mais ai été rappelé le soir même. Très joli coin des environs de Verdun, une haute forêt bien fournie recouvre une véritable petite Suisse. Des ravins profonds et à pic nous donnent des défilements merveilleux.
De l'observatoire au-dessus de Watronville, on voit un panorama superbe. À remarquer les fumées des usines de la région de Briey, l'immense plaine de Woëvre et au loin sur les premiers contreforts de la Moselle, l'un des forts de Metz. Secteur très calme. Je n'ai pas entendu un coup de canon pendant environ 2 jours.
De Récourt à cet endroit, il y a bien 25km, dont 15 en longeant les rives de la Meuse, de Génicourt à Haudainville.
Ces côtes tombent à pic sur des marécages très plats, très verts dans lesquels coule la Meuse, encombrés de roseaux et de plantes aquatiques et le canal.
Ce canal, limité par le front à Verdun et Saint-Mihiel est embouteillé. Il contient au moins 3 à 400 gros chalands qui depuis 4 ans attendent la délivrance.
_ Vers le 8, nouvelles reconnaissances, cette fois dans la région des Eparges à 3km du village. Région épouvantablement pluvieuse, glaise et boue.
_ Dans la nuit du 9 au 10, déménagement, nous prenons position à 200m de la tranchée de Calonne à 3km des Eparges.
_ Le 11, toujours sous la pluie, je reconnais les observatoires permettant de voir la région de Saint-Rémy, la crête Amaranthe.
Je commence à être éreinté, n'ayant pas dormi une nuit tranquille depuis mon retour à Vertus.
_ Le 12 à 1h du matin arrive l'ordre d'attaque.
Préparation de 1h30. 8 heures 30 extrêmement dures.
Nous sommes dans un véritable nid de batteries et le tir qui depuis 5h30 est à peu près à 1 coup par pièce et par minute fait un bruit épouvantable. Nous devons probablement réduire la brèche de Saint-Mihiel, puis après volte-face, envahissement de la plaine de Woëvre dans la direction de Metz. Le premier effort est dur, il faut prendre la côte de Combres et la côte Amaranthe. Réussirons-nous avec ce mauvais temps? Nous faisons en ce moment partie de la 1ère armée américaine. Nous vivons en contact continuel avec les américains et n'avons qu'à nous louer de nos relations.
Le 12 par un temps pluvieux et boueux l'attaque déclenche, de 5h30 à 8h30, un marmitage formidable des positions ennemies, nous nous vengeons du 15 juillet. Les coloniaux (15e D.I.) attaquent la côte de Combres et la côte Amaranthe.
Le 13 l'offensive continue vers le Sud-Ouest. Les résultats sont superbes, 8000 prisonniers, avance formidable dans la plaine de Woëvre et les côtes de la Meuse débloquées. On parle même d'une avance sur les côtes de la Moselle, dans la région de Pont-à-Mousson.
Le 13 au soir, je visite le pays délivré, je parcours la crête de Combres, celle des Eparges, la crête Amaranthe.
Nous découvrons des abris merveilleux et confortables, tous éclairés à l'électricité, même tapissés. Nous allons jusqu'aux positions des batteries boches, jusque chez "un confrère" qui avait du 1500. 2 pièces restent encore dans les alvéoles, mais ils ont enlevé les appareils de pointage.
Je visite le P.C. de batterie qui est délicieux par son luxe confortable. Tableaux, meubles empruntés au plus prochain village.
Nous tenons toutes les côtes de la Meuse. Combres, Herbeuville sont repris. Du haut de la côte Amaranthe, nous contemplons à perte de vue la lumineuse plaine de Woëvre, qui ressemble à une verdoyante d'où émergent cent villages blancs en flammes. Quelle vision de guerre! Plus loin à l'horizon se détachent les collines violettes de la Moselle et parmi elles les contreforts derrière lesquels se cache Metz. Un des forts est visible, parait-il. Cela nous parait tout près. Y arriverons-nous?
Crête Amaranthe. Je revisite à cheval toute cette région; mais au moment où les batteries vont partir, contrordre.
Le 15 à 1h du matin arrive l'ordre d'occuper la position de Vavin derrière Watronville. Nous y sommes à 11h en batterie. Nous croyons rester un certain temps dans ce site enchanteur; mais le soir à minuit arrive l'ordre de revenir à Récourt. Nous revenons mélancoliquement le long de la Meuse et passons la nuit à cheval.
Le 16 à 7h, après avoir assisté à un superbe lever de soleil, nous réoccupons notre vieux cantonnement de Chanais. Tout le monde éreinté, chevaux fourbus, naturellement.
Nous quittons Le Chanais le 18 au matin (2h) et allons continuer près de Rampont. Il s'agit de participer à une nouvelle attaque américaine. Pays vallonné très propice à l'artillerie. Après les reconnaissances d'usage, allons mettre en batterie dans les environs de Dombasle-en-Argonne, au bois de Lambéchamp, mi-chemin entre Avocourt et la cote 304 de célèbre mémoire.
Nuit du 20 au 21 Pays haché par l'artillerie il y a 2 ans; mais la végétation a recommencé son oeuvre réparatrice et camouflé les dévastations.
Le 25 septembre L'attaque est imminente. Le temps est sombre et lourd; tout le monde est nerveux; un silence impressionnant s'étend sur le champ de bataille, il n'est troublé que par le bruit sourd et continu des tanks qui montent en ligne.
L'artillerie est prête; son effectif est formidable; dans toute la forêt de Hesse sur les transversales, les Fillers Q.P.F. se succèdent, chaque pièce à 30m de la voisine; deux lignes continues et parallèles de ces canons traversent le secteur, il parait que 80 batteries de S.P.F. vont en position. Ce n'est pas tout, tous les bois sont meublés également de canons à portées, les pièces de marine, les 240, les 270 c, les 280 c se trouvent partout. C'est une concentration formidable. En ligne, même entassement de crapouillots tirant en même temps, inlassablement.
Comme une marée, le flot des américains monte .
Ce choc sera formidable, et chose parfaite, en ce moment, quelques heures avant l'attaque, nous-mêmes n'avons aucune idée sur nos objectifs. Nous connaissons simplement notre zone. Nous ignorons si l'attaque est d'envergure ou non; c'est seulement l'amoncellement des munitions qui nous fait juger qu'elle sera formidable.
Aujourd'hui attaque à 5h30, après 3 heures d'une préparation excessivement nourrie. Le boche a été surpris et la progression s'est effectuée normalement. Peu ou pas de pertes chez les américains.
A 7h, la 6e batterie devant progresser, je suis parti avec Jourdan, Fleury et quelques hommes pour reconnaître les accès. Nous devons aller au bois de Chambronne, qui chose amusante était encore boche à l'heure où on part. Nous passons les lignes à Avocourt, après avoir passé un bon moment dans un brouillard excessivement dense au milieu d'embouteillages impossibles et heureusement à peine marmités par les boches.
Le brouillard se lève à 8h quand nous passons les lignes; rien encore n'est réparé, les sapeurs américains viennent d'arriver. Nous pouvons juger du travail formidable d'écrasement qui a été fait. Sur un espace de 1500m, c'est un chaos informe, impossible de retrouver trace des chemins; nous sautons comme les fantassins 2 heures plus tôt de trou d'obus en trou d'obus à travers les barbelés, tandis que le barrage roulant des Fillers nous passe sur la tête et va aider à la continuation de l'attaque. Un colonel américain que nous rencontrons me donne des renseignements sans se faire prier et sans m'écraser du poids de ses galons. Très aimable, il me fait faire avec lui au moins 2km dans ce chaos à la recherche des routes d'autrefois. Pendant ce temps les sapeurs américains de plus en plus nombreux travaillent. Ce coin reconnu, nous allons explorer le bois. Comme les américains ne nettoient pas le terrain conquis, nous prenons quelques précautions; mais au début nous ne rencontrons que quelques cadavres. Mes hommes enchantés s'arrêtent à toutes les sapes et ils visitent, ce qui ne m'avance pas, surtout qu'ils en retirent tout un matériel aussi embarrassant qu'inutile, qu'ils tiennent à rapporter absolument. Ce bois déchiqueté, bouleversé rappelle le bois des Buttes. Nous entendons les explosions d'obus et la fusillade sur les lignes devant nous; mais nous nous trouvons absolument sûrs dans ces bois. Une relève américaine passe et va dans une autre direction que nous. Plus loin, c'est un convoi de prisonniers encadré par des poilus américains.
Encore plus loin, nous rencontrons des soldats boches (une douzaine environ) tous seuls revenant en arrière. Ils sont sans arme, aussi sommes nous tranquilles de suite; mais la rencontre est amusante. Un peu plus loin, nous rencontrons 2 boches et 2 américains. L'un des boches est très loquace. Pour essayer mon boche, je cause un bon moment avec lui et nous nous comprenons parfaitement. Il est imprimeur à Düsseldorf et en a assez de la guerre. Il a été pris dans un observatoire, il y a 1/2 heure à 2 km de là. Un bruit nous reconnaissons que les troupes d'attaque ne sont pas très éloignées.
Une surprise nous attend au ravin de laï Fuon. Au moment de la traversée, Fleury aperçoit à une centaine de mètres à l'Est une bande de boches agitant des mouchoirs blancs. Ils se rendent, dit-il, nous allons les tenir prisonniers ou les signaler aux américains. Quelques américains se joignent à nous et nous allons vers les boches, lorsque tout à coup nous sommes arrêtés par un sifflement et un tac-tac caractéristique. Pas de doute, une mitrailleuse tire sur nous. Très rapidement, nous nous planquons, et en levant la tête nous nous apercevons que les boches ont disparu. L'un de nous se relève, nouvelles balles. Cela devient dangereux, surtout que nous nous sommes sérieusement rapprochés des boches et que nous sommes à … découvert à droite ou à gauche.
Tout à coup les boches réapparaissent et recommencent leur manège, la mitrailleuse s'arrête et nous avons l'explication du mystère, en voyant des américains passer rapidement derrière eux. Une mitrailleuse est restée en action, isolée sur un fortin et prend le ravin en enfilade; les américains, désirant le traverser, ont déployé une ligne de prisonniers et passent derrière. C'était bien simple, mais nous avons été bien désagréablement surpris; le sifflement des balles qui arrivent sur vous n'a rien d'agréable. Nous revenons sans encombre au P.C., mais éreintés. On a fait encore 20km. Louis le toubib est en route; il est tellement chargé d'antennes de récupération, fusils, baïonnettes … etc., qu'il ne peut plus faire un pas; mais il ne veut rien abandonner.
27 _ L'avance a été formidable. Nous avons progressé de 10km par endroits. Un communiqué triomphal nous annonce que les français ont percé en Champagne sur un front de 35km et qu'ils envahissent les Balkans, atteignent la Bulgarie.
28 _ Reconnaissance avec le lieutenant Labarre (commandant la batterie) dans les environs de Montfaucon et d'Ivoiry … .
Nous arrivons sur la route de Montfaucon à Ivoiry au moment d'une autre attaque boche; d'après les tuyaux ils ne doivent pas être loin. J'ai là l'impression de la guerre de mouvement telle qu'elle doit être entreprise. Les batteries à peine déhalées tirent à toute vitesse sur des objectifs fugitifs. Nous …, nous voyons surgir des éclatements en tous les points de l'immense plaine. Le tic-tac des mitrailleuses n'arrête pas. Des points noirs courent en tout sens. Je reviens et rencontre l'E.M. en route pour le ravin de laï Fuon où nous mettrons le groupe.
29 _ Le groupe se place tout près de Montfaucon. Je retourne avec Labarre faire une 2e reconnaissance près d'Ivoiry. Même impression.
2 Octobre _ Depuis deux jours le P.C. du groupe est à Montfaucon même; les lignes sont incertaines et à 3km de nous. Le village est en ruine mais est excessivement pittoresque. Au point culminant l'église garde une originale beauté. Il ne lui reste que 2 arcs cintrés encadrants d'anciens vitraux. On croirait une ruine antique.
Nous occupons l'ancien P.C. des boches, constitué par des maisons renforcées au ciment armé. Extérieurement ce sont des ruines; mais intérieurement c'est habitable. Le village est excessivement harcelé, Castelli a été tué dès le 1er jour, un homme de la 6 est complètement disparu. C'est à ne pas sortir.
Je retrouve des appareils complets de T.S.F. boches dans un P.C. des environs.
3 Octobre _ Nous croupissons à Montfaucon.
Mon ami Castelli est tué à Montfaucon, écrasé par un obus à 50m de moi alors que nous revenions d'une mission dans les lignes. On n'a pas retrouvé son corps.
1er novembre _ Bois de Gesnes. Je n'ai rien noté pendant cette dernière quinzaine, ayant vaguement le cafard.
Je rappelle seulement 2 reconnaissances agrémentées de balles de mitrailleurs, faites avec le commandant Maury à Gesnes-sur-Argonne, puis dans les observatoires environnants (cote 255), lorsque les boches étaient sur les crêtes formidables du bois de Gesnes.
Je note également la veine inouïe que nous avons eue de ne pas nous installer dans certaine baraque en bois de Gesnes, qui plaisait fort au commandant Maury, parce qu'elle comportait une armoire à glace, ladite baraque ayant été démolie la nuit suivante par un 150 qui tua 4 américains et 1 français.
Au contraire, notre installation dans une jolie baraque de style munichois occupée précédemment par des topographes boches fut exempte d'incidents.
A notre arrivée, les boches étaient à 1800m de nous.
Vers le 25 une première attaque les repoussa de Romagne et du bois de Gesnes, les mettant à 6000.
Le 30, nous nous installons où nous sommes encore, c'est-à-dire sous la tente derrière la crête de Gesnes.
Bonne position; mais qui serait meilleure en été qu'au mois de novembre. Nous gelons confortablement.
Cette gosse d'Alice vient de me flanquer le trac en m'envoyant une dépêche de Bordeaux, m'annonçant l'arrivée d'Alice à Saint-Maixent. J'ai eu la frousse en voyant le papier bleu.
Aujourd'hui 1er novembre, contre-attaque, marmitage formidable de 5h30 à 8h30; depuis progression.
Je ne pense pas que nous poursuivions le groupe, manquant évidemment d'hommes et de chevaux.
8 Novembre _ Nous voilà revenus dans le bois de Gesnes. Vie sauvage qui n'est même pas variée par le travail, puisque le boche est hors de portée et se fait démolir à Sedan.
Je m'abrutis considérablement à contempler l'immense horizon de Montfaucon à Montrefague qui se déploie devant nous. Pays triste et brumeux; les bois ravagés par les boches et bistrés par l'automne ont l'air mutilés.
Je voudrai bien quitter ce sale trou. D'ailleurs la vie sous la tente à cette époque manque de charme. Seule distraction, les lettres. Les 2 … d'Alice viennent de passer du bon temps à Bordeaux, j'en ai eu l'écho sur 3 lettres au moins. L'antenne nous maintient en contact avec le monde externe.
Les armistices sont tous signés sauf un. A quand la libération.
12 novembre _ L'heure est arrivée plus vite que nous l'attendions.
le 10, nous retournons au repos et après la dure étape de Romagne à Dombasle en Argonne par Epinonville et Cheppy nous arrivons au camp Saint-Pierre, puis Rampont vers minuit par un brouillard intense. A ce moment nous entendons dans un grand bruit, salves, sons de cloches.
Peu après une radio nous annonce l'armistice. Guerre finish!! Comme disent les américains.




R. LEROUX
Suppléments.

16 Avril 1977.

Offensive du général Nivelle.

Je m'aperçois seulement ce jour que mes notes ne montrent pas les journées du 16 avril 1917 et suivantes.
Je les complète de mémoire.

La 15e batterie, la mienne, était donc juste à environ 2km des lignes (les 155 courts St. Chamond ne portent qu'à 6 kilomètres.
Nous savions qu'une grande attaque se préparait, et les jours précédents nous avons cherché à préparer nos tirs. Comme il y avait sur tout le front une concentration d'artillerie formidable, tout le monde faisait la même chose, si bien que nous avons donné aux allemands l'impression d'une attaque en préparation, alors que plus tard nous devions nous contenter d'orienter nos pièces sans tirer, par visées sur les étoiles et quelques coups fusants hauts.
Dans les fumées (elles ne provenaient pas des explosions d'obus) nos observations manquaient d'ailleurs de précision. La règle de Fontainebleau considérait une pièce comme réglée lorsque le moins heureux en direction donnait 3 coups courts et 3 coups longs; avec les coups de départ, il me fallait donc une vingtaine de coups par batterie pour l'accrochage. C'était beaucoup trop. C'est une des erreurs de l'offensive Nivelle du 16 avril 1917.
Notre observatoire était pour le moins curieux, camouflé derrière une batterie à environ 1km de distance et était relativement tranquille, perdu dans la verdure.
12 Avril _ Il m'est arrivé une aventure désagréable mais amusante.
Deux jours avant l'attaque, croyant avoir réglé le tir, j'ai envoyé mes 4 coups de vérification (1 par pièce).
Le commandement réglementaire était:
Sur le point de pointage, plateau x, tambour y à obus explosifs percutants. Fusée instantanée éclairante.
Je reçois l'indication "Batterie prête", et pour déclencher le tir, je donnais simplement la distance.
Par exemple: "Par la droite, par batterie, à 5 secondes d'intervalle, 3400 mètres."
Le commandement "Feu" était donné par le chef de pièce et non par l'observateur.
Je rappelle que j'étais relié à la batterie par un téléphone dont le fil était posé par un soldat téléphoniste qui m'accompagnait et qui ensuite répétait mes ordres pendant que je maniais mes jumelles.
Ce jour là, j'ai envoyé mes 4 coups; mais n'ai observé que 3 explosions. J'ai commandé: "Mêmes éléments", et tiré 4 nouveaux coups, et observé encore 3 explosions.
A ce moment une voix derrière moi me dit: "Je voudrai bien savoir qui ajuste ce tir de réglage?" C'était le colonel commandant l'artillerie du secteur.
Il a vu que j'étais encore novice et m'a rappelé que dans ce cas, on doit tirer 4 coups fusants hauts. C'est ce que je fis, et je vis dans les airs 3 nuages au-dessus des lignes et un autre à 90° de distance angulaire, au-dessus des lignes françaises.
L'erreur était classique, car nos appareils de pointage étaient réglés de 0 à 90° au lieu de l'être de 0 à 360°; mais je n'aurais pas dû tirer 2 salves … tambour x.
Le colonel, qui dans le civil était un médecin expert médical bien connu des tribunaux, où il avait un gros succès auprès des dames, était cependant un X et bon artilleur.
Il ne m'en a d'ailleurs pas voulu et tout s'est bien passé. C'est ainsi que j'ai fait mes premiers réglages de tir avec de vrais obus.
Toute la nuit du 14 au 15, j'ai entendu défiler les fantassins venant dans les tranchées. C'était bien triste.
L'heure "H" était je crois 14h le 15; mais une brume intense survint et elle fut reportée au 16, encore une erreur qui donna du temps aux allemands. Ils en profitèrent pour abandonner la première et seconde ligne.
De ce fait, l'horaire des tirs soigneusement établi de 1/4 d'heure fut observé, et nos tirs s'allongeaient comme prévu.
Malheureusement, au bout d'une heure, on nous fit revenir en arrière pour une pièce qui fut ramenée de 4000 à 3000m; et de proche en proche, au bout de 3 heures de tir, le tir qui aurait du se faire à 6000m était revenu à 2000m.
Les avant-trains; qui étaient … de l'échelon (situé à l'abri à une dizaine de kilomètres) et se tenaient à notre disposition pour avancer sur le terrain conquis, furent rapprochés pour nous éviter de laisser nos pièces à l'ennemi, si celui-ci poursuivait sa contre-attaque, ce qu'il n'a heureusement pas fait.
Il a … ; mais la bataille était perdue. Nous avions progressé seulement de quelques kilomètres.
J'ai par ailleurs noté la liste des ordres donnés pro… de 2000 à 6000m de pris, revenant en arrière.


R. LEROUX

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